A l’applaudimètre de cette septième édition du Jardin des Voix, mercredi, le public du théâtre de Caen a placé haut la barre. Vingt minutes d’ovations ponctuées par deux rappels, sont un surprenant « Siete voi », tiré de « Cenerentola » (« Cendrillon »). Pour la première fois, William Christie faisait entendre du Rossini !
Mais on reste dans langue italienne. Elle est reine dans ce concert des lauréats de l’Académie des Arts Florissants, comme elle l’était dans la musique européenne des XVIIe et XVIIIe siècle. L’idée de Paul Agnew, co-directeur, de monter un programme exclusivement italianisant, se révèle lumineuse. Elle s’appuie sur l’esthétique baroque de « l’affect », l’expression des sentiments.
Amour, haine, jalousie, déception, colère sont autant de mots fléchés par Cupidon et mis en musique par Banchieri, Stradella, Vecchi, Vivaldi, rejoints par les « horsains », que sont de Wert, Handel et plus tard, Haydn ou Mozart. Et l’exploit de Paul Agnew est d’avoir choisi dans le répertoire des extraits d’œuvres, qui s’enchaînent merveilleusement.
« L’Académie d’amour » (titre emprunté à Alessandro Stradella) se révèle un spectacle total, d’une cohésion parfaite. Du sur-mesure apte à mettre en valeur le talent de ces jeunes chanteurs, soutenus par un orchestre au top, comme toujours.
Ladies first. Quand elle s’affranchit de ses lunettes à la Nana Mouskouri et défait ses cheveux, Lucia Martin-Carton se révèle une amoureuse inspirée. La voix de la soprano espagnole est jeune encore, mais son interprétation, par exemple, du fameux aria « Lascia la spina », tiré de l’oratorio d’Handel « Il trionfo del Tempo e del Disinganno » (Le triomphe du temps et de la désillusion) est saisissante d’émotion.
Le métier de Léa Desandre apparaît déjà plus assuré. Qu’elle aborde le registre des sentiments exacerbés (Vivaldi) ou celui de la bouffonnerie (Cimarosa, Sarro), la mezzo fait preuve d’une large palette expressive. Dans ce domaine de la drôlerie, le ténor anglais Nicholas Scott se rattrape d’une première partie, ponctuée de quelques ratés. A deux reprises, le haute-contre italien Carlo Vistoli laisse le public suspendu à ses lèvres. D’abord dans l’aria « Ah ! stigie larve, ah !, scelerati spettri ! », où Orlando, le héros de l’opéra d’Handel, perd la raison submergé par la jalousie ; puis dans la cantate de Nicola Porpora, «Oh se fosse il moi core ».
Son compatriote Renaldo Dolchini, à l’instar de Léa Desandre, compte plusieurs atouts dans son jeu de baryton : une réelle présence sur scène, une voix solide, bref une maturité qui lui font entrevoir un vaste répertoire. Enfin, effilé comme un sauteur en hauteur (on le verrait bien en Valentin le Désossé), l’Américain John-Taylor Word ne descend pas jusqu’aux profondeurs des abysses vocales. Toutefois, son phrasé, son sens des nuances, ajoutés à une expressivité scénique en font un interprète à suivre.
C’est bien l’objectif du Jardin des Voix, qui entraîne après ce concert à Caen, ces talents dans une tournée fantastique : Hong-Kong ; Perh, Melbourne et Sydney, en Australie ; Moscou ; Paris à la Philharmonie ; New-York ; enfin, Lucerne. « The Voice » peut aller se rhabiller…
Le 1er mars 2015.
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