Les pays baltes sont mis à l’honneur pour la 27e édition des Boréales. Les trois petits pays que sont la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie ont une grande tradition de chant vocal. C’est un florilège de la « Musica Baltica » qu’ont offert, et pour la première fois réunis au théâtre de Caen, l’Orchestre régional de Normandie, l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et le Chœur de chambre de Rouen.
Près de cent musiciens et choristes, le théâtre de Caen dispose heureusement d’un grand plateau. N’empêche, vu de la salle, l’ensemble fait impression. Déjà, en première partie, la seule présence des chanteuses et chanteurs en impose. Sous la conduite de Frédéric Pineau, longue silhouette mobile, gestuelle un tantinet affectée, le chœur entame un hymne à la musique. « Muusika » du jeune compositeur estonien Pärt Uusberg (32 ans) est une pièce courte, révélatrice d’un style porté sur l’intériorité, où chaque pupitre apporte ses nuances dans un élan commun.
Le programme ne peut faire l’impasse sur deux grands noms de la musique balte, internationalement connus : Veljo Tormis et Arvo Pärt, tous deux estonien. Tormis, disparu l’an dernier à l’âge de 87 ans, est un maître du chant polyphonique. Deux pièces de ses « Sügismaatiskud » (Impressions d’automne) témoignent de ce souffle lyrique exaltant une nature toujours très présente dans les partitions nordiques. On la retrouve aussi dans une atmosphère primitive avec « Pärismaalase lauluke », mélopée ensorcelante qu’accompagne le battement d’un tambour.
La musique d’Arvo Pärt conclut le concert par deux œuvres pour orchestre de chœur, sous la conduite de Jean Deroyer. L’une et l’autre sont empreintes d’une spiritualité caractéristique du compositeur. « Da Pacem Domine » (Seigneur, donne-nous la paix) répond à une commande Jordi Savall en mémoire des victimes de l’attentat contre un train à Madrid, le 11 mars 2004. Ce grand chant, accompagné par un orchestre à cordes, a notamment été repris à la Philharmonie de Paris après les attentats perpétrés à Saint-Denis et dans la capitale (quartier République et Bataclan) de novembre 2015. Le concert restitue un extrait sur une œuvre de plus d’une heure, mais assez pour en mesurer la profondeur avec un final comme tiré par des battements d’aile vers un silence progressif. Impressionnant.
Pas moins apaisé, mais plus serein est l’hommage à Sainte Cécile (la patronne des musiciens). Arvo Pärt a écrit « Cecilia, vergine romana » à la demande de l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome, pour les célébrations du troisième millénaire. La progression majestueuse de l’œuvre participe d’un bel équilibre entre le chant et la musique. Silences et baisses de rythme font respirer cette composition. Elle a la fraîcheur d’un printemps qui s’éveille, avec dans les dernières mesures une prédominance des bassons assez fascinante.
Entre les deux maîtres que sont Veljo Tormis et Arvo Pärt, on a pu entendre un « Cantate Domino » du Lituanien Vytautas Miskinis (né en 1954), motet qui rend hommage au compositeur et organiste français Maurice Duruflé. Puis « Only in sleep », une magnifique berceuse du Letton Eriks Esenwalds (né en 1977). Enfin, « Vox amoris », fantaisie pour violon et orchestre à cordes de Peteris Vasks, compositeur letton né en 1946, a été l’occasion d’entendre une œuvre vibrante et aérienne. Guidé par le violon intense, à la fois de douceur et de montée en puissance, de Jane Peters, elle recèle un pouvoir hypnotique.
Ce panorama de « Musica Baltica » bien servi par les trois formations normandes, atteste de la richesse d’un répertoire et d’un esprit créatif qui se transmet de génération en génération. On se serait cru reporté de quelques années aux plus belles heures du regretté festival Polyfollia de Saint-Lô.
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Concert donné le jeudi 16 novembre 2018, au théâtre de Caen, dans le cadre du 27e festival des Boréales.
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