The Beggar’s Opera: filoucratie à l’anglaise


Créé aux Bouffes du Nord, avant une longue tournée, « The Beggar’s Opera » vient de faire halte pour quatre soirs au théâtre de Caen. Créé ou plutôt recréé. Complices sur un bon nombre de productions, William Christie et Robert Carsen se sont emparés de l’ouvrage de John Gay et Johann Christoph Pepusch qui date de 1728. Le tandem le transpose dans le monde d’aujourd’hui. Le propos ne perd rien de sa charge impertinente, portée par une compagnie épatante et explosive.

Kate Batter (Polly Peachum), Beverley Klein (Mrs. Peachum), Olivia Brereton (Lucy Lockit)(Photo Patrick Berger)

! « The Beggar’s Opera » (L’opéra du gueux) répond à un genre, qui dans l’Angleterre du XVIII e siècle, réplique au style italien. On parle de « ballad opera » tant les mélodies populaires y tiennent une place. La satire, la critique sociale sont au cœur de ce qui s’assimile à un « défouloir » contre les puissants, à l’image des carnavals.

« L’opéra de quat’sous » de Kurt Weill et Bertold Brecht en est directement inspiré. Plus près de nous, le Canadien Robert Lepage en a fait une adaptation rock qu’on a pu voir, en 2004, au théâtre de Caen. Elle visait les dérives du show business. C’était saignant !

Evidemment, il pourrait y avoir tromperie sur la marchanMacheatdise. Déjà, avec l’appellation d’opéra inscrite dans le titre. Et surtout si elle est associée aux noms de William Christie et de Robert Carsen. Le tandem nous ont habitués à des œuvres lyriques d’un autre acabit.

Mais après tout, la tromperie est au cœur même du « Beggar’s Opera » ! L’ouvrage est peuplé de filous, de fripouilles, d’escrocs, de maquereaux, de poules et de gigolettes. Bref tout un monde de petits malfrats et de leurs michetonneuses mené par Macheath. Au sommet de la hiérarchie de cette pègre règne l’expérimenté Peachum.  Dans son entrepôt d’import-export (sic) s’accumulent les caisses de marchandises détournées, « tombées du camion », comme on dit.

Sur scène, un mur de cartons monte jusqu’aux cintres. Rien à voir avec une célèbre enseigne suédoise. On est dans le repaire de Peachum. Poursuivis par des sirènes hurlantes, s’y réfugient une bande de loubards, jogging et sweat à capuche. Du groupe se détache une poignée de musiciens. En un rien de temps, des emballages se transforment en pupitres.

Sur fond de corruption, l’intrigue se joue dans la rivalité entre Polly, la fille de Peachum, et Lucy, la progéniture de Lockit, chef de la police tout aussi peu recommandable. L’enjeu est Macheath. Les deux jeunes femmes se disputent le cœur du beau gosse, aveugles à son cynisme. Les deux beaux-pères présumés sont, eux, loin de trouver en lui la figure du gendre idéal. Chacun a de bonnes raisons de vouloir  lui faire la peau…

Des comédiens, chanteurs et danseurs débordant d’énergie (Photo Patrick Berger)

Avec des allusions aux Tories, au Brexit, Robert Carsen et le dialoguiste Ian Burton s’amusent à piquer de traits d’actualité un texte remodelé avec une bonne dose d’insolence à l’égard d’un monde où affaires et exemplaires riment en grimaçant. A la fois acteurs, danseurs, chanteurs, issus de l’école londonienne de la comédie musicale, les protagonistes de ce « Beggar’s Opera », se fondent à merveille dans la mise en scène dynamique de Carsen.

La distribution est au cordeau, tant par la présence de l’ensemble des participants que par leurs qualités scéniques. Une réserve cependant avec cette impression de formatage des voix chantées, un défaut trop fréquent dans les spectacles musicaux actuels. On fera une exception toutefois pour Kate Baker (Polly), dont le timbre se révèle parfois proche de celui de Joan Baez. Côté maturité, Robert Burt en impose sans forcer dans le rôle de Peachum. Et, drôle à souhait, Beverly Klein, son épouse sur scène, réincarne une Barge Simpson quand sa voix bascule vers le rauque.

Musicalement, les interprètes des Arts Florissants ajoutent au plaisir du spectacle avec un choix d’airs savants de compositeurs renommés (Purcell, Handel)  et de mélodies aux échos familiers. La dizaine de musiciens semble s’amuser autant que le public de cette fable à la morale pas très claire ! Si Macheath sauve sa tête, c’est à la faveur d’un renversement de gouvernement qui laisse sceptique sur la suite des événements. Mais ceci est une autre histoire…

The Beggar’s Opera, représentations données au théâtre de Caen, mardi 18, mercredi 19, jeudi 20 et vendredi 21 décembre 2018.

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