Adapté d’un conte d’Oscar Wilde, « Le Nain » est un opéra dense et cruel d’Alexander Von Zemlinsky, écrit en 1922. On redécouvre ce compositeur autrichien qui fut le professeur de Schönberg et Berg et connut la solitude de l’exil. Sur la scène du théâtre de Caen, la mise en scène lumineuse de Daniel Jeanneteau sert une partition indissolublement liée à la tension dramatique. La jeune équipe d’interprètes et l’Orchestre régional de Normandie rivalisent d’engagement.
Bien sûr le titre de la nouvelle d’Oscar Wilde, « L’anniversaire de l’infante » fait penser au tableau de Diego Velasquez « La famille de Philippe IV », plus connu sous le nom « Las Meninas » (Les Menines). Y figurent auprès de la famille royale deux personnages atteints de nanisme. Si l’opéra de Zemlinsky se situe à la Cour d’Espagne, la production accueillie au théâtre de Caen évite toute historicité.
Plus proche de l’esprit de l’œuvre _ l’amour impossible entre un contrefait et une belle _ la mise en scène de Daniel Janneteau s’attache à la qualité d’un texte surligné part une musique saisissante. Le décor sobre et élégant, attractif comme une vitrine illuminée, offre une vision frontale, directe avec le nœud du drame.
Pour l’anniversaire de l’infante, Donna Clara, quatre caméristes s’affairent autour des préparatifs, sous les ordres du chambellan, Don Estoban. Les commentaires vont bon train sur les cadeaux, notamment celui du Sultan, qui envoie un nain, tel un joujou. On sait de lui qu’il n’a pas conscience de sa difformité, n’ayant jamais croisé un miroir. Au surplus, il prend les rires qu’il suscite pour des amabilités, voire des compliments sur son allure, et non pour des moqueries.
D’où son caractère gai. Et pour le conserver, Don Estoban fait couvrir tout ce qui pourrait renvoyer son image. Telles des gouvernantes d’hôtel de luxe tirées à quatre épingle avec chignon, tailleur sombre et hauts talons, les caméristes doivent faire front à la suite de l’infante, poussée par la curiosité.
Rieuses et indisciplinées, elles n’ont de cesse de vouloir découvrir avant l’heure bijoux et cadeaux. La princesse n’est pas la dernière à entraîner ses demoiselles d’honneur, ses menines, comme sorties pour un bal des débutantes, aigrettes et robes longues. Cette confrontation anti protocolaire n’est pas sans donner quelques sueurs froides au chambellan, qui se voit plus près de l’exil que de l’augmentation.
En fait, la révélation du Nain détourne puis concentre toutes les attentions. Silhouette gracile, accentuée par la taille rehaussée des autres personnages, talons aiguille ou chaussures compensées, il est comme un enfant sauvage débarqué dans un monde dont il ignore les codes. Cheveux mal peignés, baskets, blouson de survêtement et jean, vit son arrivée comme un rêve devant cette princesse sophistiquée, aimable comme une enfant devant son beau joujou.
S’instaure un jeu pernicieux, que ne mesure pas la princesse Clara elle-même dans sa candeur insensible. Jeu de nain, jeu de vilain (e), est-on tenté de dire, tant le malheureux est manipulé aux dépens de sa sincérité totale. Lui est tombé amoureux de l’infante, désire l’enlacer. Elle, elle s’en amuse et s’en lasse.
Pour se défaire de cette situation embarrassante et ambigüe, Ghita, la camériste préférée de Donna Clara précipite les choses. C’est l’heure de vérité avec le vaste miroir qui soudain occupe le fond de scène. Le Nain se refuse à se découvrir tel. Face à face au destin fatal, le dialogue entre Jennifer Courcier (l’infante) et Mathias Vidal (le Nain) offre une montée en tension poignante.
Le livret de Georg C. Klaren, qui écrivit aussi pour Alfred Hitchcock (« Mary », un film germano-britannique de 1931), participe de cette intensité par sa finesse psychologique. La musique expressionniste de Zemlinsky fait large place aux cuivres, bois et percussions, alternant sentiments de douleurs et de désespoir avec naïveté et futilité cruelles.
L’orchestre régional de Normandie est une formation de chambre, mais dans cette transcription adaptée, il éclate de tous ses feux. Franck Ollu, à la baguette, semble même devoir tempérer un enthousiasme en fosse qui pourrait tenir de la compétition. Car sur scène, on ne ménage pas sa voix, en particulier le ténor Mathias Vidal pour exprimer le désarroi de son personnage qui n’y survit pas.
Aux côtés de la soprano Jennifer Courcier, Julie Robard-Gendre (Ghita) confirme les qualités vocales déjà remarquées par la critique. Paul Gay incarne un chambellan impressionnant. Autour de ces solistes, on apprécie les interventions des choristes. Elles contribuent à la cohérence d’un opéra, dont l’accord final tombe comme un couperet. Le jouet est cassé. La princesse va danser.
« Le Nain » (Der Zwerg), production de l’Opéra de Lille. Coproduction : Opéra de Rennes, Théâtre de Caen, Fondation Royaumont. Représentations données au théâtre de Caen, mardi 5 et vendredi 7 février 2019. n0 \lsd
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