En associant un piano à un trio à cordes, Johannes Brahms a composé trois merveilleux quatuors, inscrits au Panthéon de la musique de chambre. L’intégrale de ces chefs d’œuvre a été interprétée au théâtre de Caen par des solistes de haut niveau, le pianiste Jean-François Heisser ; l’altiste Miguel Da Silva ; le violoncelliste Christophe Coin ; et, benjamin de cette bande des quatre, le violoniste Pierre Fouchenneret. Près de deux heures et demie de musique pure saluées au final par des salves d’applaudissements.
C’est la rencontre de la maturité et de la jeunesse. Jean-François Heisser a un parcours riche d’expériences, tant comme pianiste, chef d’orchestre ou pédagogue. Miguel Da Silva est un des fondateurs du prestigieux Quatuor Isaÿe. On ne présente plus à Caen l’enfant du pays Christophe Coin à la belle carrière de gambiste et de chef d’orchestre également. Pierre Fouchenneret s’intègre parfaitement dans cette équipe d’aînés.
Pour qui suivent le Festival de Pâques de Deauville, pépinière de jeunes talents sur laquelle veille son directeur Yves Petit de Voize, le violoniste n’est plus un inconnu. On a pu y admirer depuis plusieurs années la finesse et la subtilité de son jeu. Les cheveux moussus toujours un peu fous et, cette fois, une barbe de loup de mer, l’artiste se distingue aussi par des audaces toujours maîtrisées.
Un répertoire affûté
Chambriste affirmé, Pierre Fouchenneret est déjà un bon connaisseur de la musique de Brahms. Avec ses amis du festival deauvillais et de son ancrage parisien qu’est la Fondation Singer-Polignac, le violoniste a enregistré l’an dernier ces quatuors de Brahms. Avec, à ses côtés, l’altiste Lise Berthaud, le violoncelliste François Salque, et le pianiste Eric Le Sage. Le cédé est paru chez B. Records, le label du Festival de Pâques de Deauville.
Ce disque fait partie d’un projet plus vaste qui est d’aborder toute la musique de chambre de Brahms, en concerts publics enregistrés. D’autres musiciens de leurs générations y sont associés, sous l’égide de la Belle Saison, un réseau d’une vingtaine de théâtres et salles de concert en France, dont le Trident, à Cherbourg.
Jeux de phrases musicales
On ne s’étonne pas Jean-François Heisser, Christophe Coin et Miguel Da Silva aient pu accueillir Pierre Fouchenneret parmi eux. Une connivence qui commence par un sourire. Au moment de s’installer sur scène, le violoncelliste s’aperçoit qu’il a oublié ses lunettes dans sa loge. Le temps qu’il revienne, Miguel Da Silva lui prend son instrument pour jouer quelques mesures d’une sonate de Bach ; puis propose son alto au pianiste qui refuse prudemment…
Le ton est donné. Mais le port léonin et imperturbable de Jean-François Heisser ramène aussi au cœur du sujet : Brahms. Ils sont interprétés dans leur ordre inverse de leur chronologie. Les deux premiers sont en fait de la même année, 1861 ; le n°1 opus 25 a été créé avec Clara Schumann au piano. On retient du troisième, l’opus 60, ébauché semble-t-il en 1856 pour n’être définitif qu’en 1875, l’expression d’un amour inaccessible. Celui que Brahms éprouvait pour l’épouse de son ami compositeur Robert Schumann.
C’est peut être aussi des trois quatuors le plus méconnu. Mais par delà ces sentiments romantiques, la musique de Brahms saisit toujours par ces jeux de phrases musicales que s’échangent ou se répondent en écho les instruments. Il y a là une construction fascinante, que mettent en place les interprètes avec des accompagnements et (ou) des passages de relais d’une précision redoutable. Un sourire, un mouvement des yeux, un hochement de tête assurent cette complicité.
Le résultat est somptueux de couleurs, de nuances, de volumes orchestraux parfois. Avec des sonorités qui restent dans la tête dont, bien sûr, le motif du dernier mouvement du quatuor n°1, qui conclut le concert. Ce Rondo à la Zingarese, pétri de danses slaves, est un bijou, dont chaque instrument révèle les facettes, en particulier le piano et le violon rivalisant de virtuosité. Une bouffée jubilatoire au terme de ces palettes d’émotion révélées du bout des doigts.
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Concert donné le samedi 9 mars 2019, au théâtre de Caen.