« Madame Favart » sous toutes les coutures

Il fallait bien un Offenbach pour terminer l’année au théâtre de Caen. D’autant que toute l’année 2019 a marqué le bicentenaire de la naissance du compositeur d’ « Orphée aux enfers ». Parmi ses opéras bouffe à la française, « Madame Favart » ne compte pas parmi les plus connus et donc les plus mis en scène. Mais il fête à sa façon une artiste très célèbre en son temps, Justine Favart. Elle et son mari ont laissé leur nom à l’Opéra Comique. La salle parisienne a tout naturellement accueilli cette nouvelle production réjouissante, dont le théâtre de Caen est partenaire.

De gauche à droite : François Rougier (Boispréau), Anne-Catherine Gillet (Suzanne) ; Christian Helmer (Favart) ; Marion Lebègue (Madame Favart). © S. Brion.

Quand il écrit « Madame Favart », Jacques Offenbach (1819-1880) est au soir de sa vie. Ses origines allemandes et sa popularité due à ses grands succès sous le Second Empire l’ont rendu suspect au regard de la IIIe République née dans la douleur de la défaite de 1870 et de la Commune. Le compositeur vient de traverser des années difficiles quand il se penche sur le destin de Justine Favart juste avant la « Fille du Tambour Major ». Après ce sera son grand œuvre « Les Contes d’Hoffmann », qui éclipsera un peu ce qui sera classé comme ses « opéras patriotiques ».

Offenbach a besoin d’une nouvelle reconnaissance. Il s’intéresse à l’histoire de Justine Duronceray (1727-1772), encore inscrite un siècle plus tard dans la mémoire collective. Cette artiste complète _ elle joue, danse, chante, compose _ est l’épouse de Charles-Simon Favart, directeur de l’Opéra Comique. Le couple et leur troupe de comédiens sont engagés par le Maréchal de Saxe. Il s’agit d’entretenir le moral des troupes de Louis XV engagées dans la guerre de succession d’Autriche, dont le sort se scellera à Fontenoy, au Pays Bas, par une victoire française.

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Happy end pour les Favart. Pontsablé est révoqué par le roi. Favart est nommé à la tête de l’Opéra Comique.© S. Brion.

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Le Maréchal avait des vues sur Justine Favart et manœuvra pour éloigner le mari. Cet épisode de la petite histoire dans la grande histoire avait de quoi réveiller des cocoricos républicains, qui, dans un contexte victorieux, retiennent comment un grand aristocrate a été mis en échec par une comédienne. Avec la complicité des librettistes Alfred Duru et Henri Chivot, Offenbach concocte une intrigue à la Molière, avec force ruses, quiproquos, travestissements, qu’illustre une musique frénétique.

Le lever de rideau fait découvrir un atelier de confection de costumes, réplique de celui de l’Opéra Comique. Il convient de le savoir pour ne pas céder à l’incongruité de certaines répliques du premier acte. Ainsi d’Hector de Boispréau, ami de Justine Favart, qui réclame une omelette au milieu de machines à coudre ! Par cette option de décor, Anne Kessler, qui signe la mise en scène, applique la formule du théâtre dans le théâtre.

« Madame Favart » prend corps dans l’atelier de costumes de l’Opéra Comique, et s’inspire de la mode des années 1950. © S. Brion.

Ainsi se laisse-t-on imaginer tout le personnel de l’atelier représenté les chanteurs et choristes, blouse blanche et mètre ruban autour du cou, s’inscrire progressivement dans l’histoire de « Madame Favart ». Ce qui explique aussi la présence d’un jeune garçon qu’on peut supposer l’enfant d’une couturière. Le décor est amené à s’effacer ainsi aux yeux du spectateur qui vont s’attacher à l’évolution des personnages. Mais le choix, qui répond certes dans un hommage à la salle Favart et à ses coulisses, aurait été plus explicite, si, par exemple, plusieurs des mannequins portaient les doubles des costumes des protagonistes.

Car les rebondissements qui parsèment cet opéra-bouffe impliquent des travestissements, dont Madame Favart devient une spécialiste. La vraie Justine fut reconnue comme pionnière dans l’utilisation de costumes réalistes sur scène. Là, son personnage apparaît sous toutes les coutures  _ chanteuse des rues, servante, douairière, marchande _ pour déjouer les recherches du gouverneur Pontsablé missionné par le Maréchal, avant d’apparaître enfin dans sa vraie nature d’artiste lyrique.

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Le gouverneur de Pontsablé (Eric Huchet) se fait mystifier.©S. Brion.

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La mezzo Marion Lebègue incarne avec une spontanéité assurée une Favart d’emblée sympathique. Autour d’elle, est réunie une équipe de chanteurs aux interventions vocalement heureuses : Christian Helmer (Favart), baryton efficace ; François Rougier (Boispréau), un ténor à suivre. On avoue un faible pour le timbre confiant de la soprano Anne-Catherine Gillet (Suzanne, la jeune épouse de Boispréau), qui, à ses qualités de chanteuse, ajoute la souplesse d’une danseuse de Cancan.

Franck Leguérinel (Major Cotignac) et Eric Huchet (Pontsablé), dont la silhouette et le phrasé évoquent un Jean Tissier complètent une distribution, solidement épaulée par le Chœur de l’Opéra de Limoges. L’orchestre de ce même opéra, mené de main de maître par Laurent Campellone, intervient sans faille au fil de l’histoire qui se conclut dans un décor de fumoir de l’Opéra Comique. Toujours lui ( !), pour effacer un peu plus le regret d’Offenbach de ne pas avoir vu sa « Madame Favart » créée place Boieldieu.

Un (petit) regret toutefois. Entre certains passages joués et d’autres chantés, s’immiscent des « blancs », qui auraient mérité être balayés par un peu plus de folie. Même si on leur doit « Les Chevaliers de la Table Ronde » d’Hervé, les librettistes de « Madame Favart », n’atteignent pas ici la même truculence de la paire Meilhac-Halevy de « La Vie parisienne » des « Brigands » ou de « La Périchole ». Bon, il y a des formules délicieuses, comme le nom de l’aubergiste, Biscotin, ou le qualificatif de « Nymphe potagère » (du Feydeau avant l’heure). . « Voila comment ça s’fit !»… à notre bonheur parmi des « Rantanplan » tonitruants

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« Madame Favart », au théâtre de Caen, dimanche 29 et mardi 31 décembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

« Libertà ! » : Mozart et cætera …

Avec « Libertà ! », Raphaël Pichon est allé aux sources de l’opéra mozartien. Les années 1780 de l’Autriche de l’éclairé Joseph II ont ouvert au compositeur un champ d’expériences musicales et scénographiques introduites par l’opera buffa italien. Avec son ensemble musical et vocal Pygmalion, Raphaël Pichon offre une leçon musique intelligente et stimulante. Les accompagnent une jeune équipe internationale de chanteuses et chanteurs pétri(e)s de talent, témoins de l’universalité du « divin » Mozart. C’était au théâtre de Caen.

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« Nouvelles pièces courtes », sketches of Japan

 

 

 

Avec ses « Nouvelles pièces courtes », Philippe Decouflé offre, avec sa compagnie DCA, un florilège de son savoir-faire : ce mélange de drôlerie et d’inventivité, de trompe-l’œil et de poésie. Sur des musiques toniques, les sept interprètes, excellents, se succèdent au fil de scènes où à la danse se mêlent le chant, l’acrobatie et le mime. La formule des sketches permet à tout un chacun d’y piocher ses petits bonheurs.

 

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Photo Laurent Philippe.

Faire des pieds et des mains, façon chorégraphique, Philippe Decouflé connaît la chanson. En duo, trio, autour d’un piano, danseuse et danseurs ouvrent des variations élégantes, où même un embonpoint assumé se joue de la pesanteur. Julien Ferranti est cet interprète enrobé, qui tient de la silhouette atypique comme a pu être celle au contraire longiligne du regretté Christophe Salengro.

La gracieuse et expressive Violette Wanty en est la partenaire. Elle assure avec lui une sorte de fil conducteur, même si ces pièces courtes sont indépendantes les unes des autres et entraînent dans des univers très différents, avec, souvent, une vidéo complice. La musique de Vivaldi participe à un étrange ballet d’arlequins bariolés, dont les motifs hésitent entre Afrique et Amérique du Sud. Pour passer plus tard à des exercices de barre d’une inventivité délicieuse.

Saisissant aussi, le passage de ces deux danseuses d’abord en contrejour dans une démonstration gestuelle gémellaire, quasi kaléidoscopique. Il faut souligner à ce titre la qualité des éclairages de Begoña Garcia Navas dans les décors graphiques semblables à des lames de stores. Cette qualité se vérifie encore dans les effets d’aurore boréale qui accompagnent l’escarpolette qui envoie en suspension une danseuse. Ce type de figure est un peu la signature de Découflé, dont le spectacle se termine sur un carnet de voyage.

Souvenirs d’une tournée sans doute, cette dernière (pas si) petite pièce décolle vers le Japon. Comme Miles Davis revisitait l’Espagne avec son célèbre enregistrement « Sketches of Spain », Philippe Decouflé donne sa vision du pays du Soleil Levant. Son évocation depuis le départ à l’aéroport s’approche du monde de Jacques Tati, qui n’aurait pas démenti le chorégraphe dans sa perception de la société nipponne, où le vécu se télescope avec les clichés. C’est drôle, un tantinet longuet (la liste des souvenirs…) et rythmé par une bossa nova propre à dérider l’ambiance morose du débat sur les retraites ! Point final (?).

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« Nouvelles pièces courtes », au théâtre de Caen, du mardi 17 au vendredi 20 décembre 2019.

 

 

 

Garcia Navas dans les décors graphiques semblables à des lames de stores. Cette qualité se vérifie encore dans les effets d’aurore boréale qui accompagnent l’escarpolette qui envoie en suspension une danseuse. Ce type de figure est un peu la signature de Découflé, dont le spectacle se termine sur un carnet de voyage.

Souvenirs d’une tournée sans doute, cette dernière (pas si) petite pièce décolle vers le Japon. Comme Miles Davis revisitait l’Espagne avec son célèbre enregistrement « Sketches of Spain », Philippe Decouflé donne sa vision du pays du Soleil Levant. Son évocation depuis le départ à l’aéroport s’approche du monde de Jacques Tati, qui n’aurait pas démenti le chorégraphe dans sa perception de la société nipponne, où le vécu se télescope avec les clichés. C’est drôle, un tantinet longuet (la liste des souvenirs…) et rythmé par une bossa nova propre à dérider l’ambiance morose du débat sur les retraites ! Point or not point ?

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« Nouvelles pièces courtes », au théâtre de Caen, du mardi 17 au vendredi 20 décembre 2019.

 

 

 

« Le Messie » lumineux du Collegium 1704

L’oratorio d’Haendel (1685-1759) est l’œuvre la plus emblématique du compositeur saxon attaché à la couronne d’Angleterre. Son fameux « Hallelujah » est inscrit dans la tradition britannique, qui fait lever le public, suivant en cela le geste de George II à la création en 1742, à Dublin. La magnifique interprétation au théâtre de Caen du Collegium 1704, dirigé par Váklav Luks, aurait bien mérité une « standing ovation ». Au moins il n’y aura pas de méprise sur la signification d’une initiative royale qui n’est pas entrée dans les coutumes républicaines. Et reste le souvenir d’un moment inoubliable.

(Photo Petra Hajska)

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Les Cambini prennent de l’étoffe

Le Quatuor Cambini-Paris a repris sa route 68, au théâtre de Caen. Il en est à sa dixième étape et sa quatrième saison à interpréter l’intégrale des quatuors de Joseph Haydn (1732-1809). On approche de la mi-parcours. A chaque concert, un thème, qui aide à mettre en perspective l’époque du compositeur. Cette fois, il est question de vêtements de scène. Créateur de nombreux costumes pour le spectacle, Alain Blanchot a expliqué son travail, fruit de nombreuses recherches. Une soirée cousue main.

Au moment du salut, à l’issue du concert  (de gauche à droite) : Clément Lebrun,Karine Crocquenoy, Pierre-Eric Nimylowycz, Julien Chauvin, Alain Blanchot, Atsushi Sakaï.

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