L’oratorio d’Haendel (1685-1759) est l’œuvre la plus emblématique du compositeur saxon attaché à la couronne d’Angleterre. Son fameux « Hallelujah » est inscrit dans la tradition britannique, qui fait lever le public, suivant en cela le geste de George II à la création en 1742, à Dublin. La magnifique interprétation au théâtre de Caen du Collegium 1704, dirigé par Váklav Luks, aurait bien mérité une « standing ovation ». Au moins il n’y aura pas de méprise sur la signification d’une initiative royale qui n’est pas entrée dans les coutumes républicaines. Et reste le souvenir d’un moment inoubliable.
(Photo Petra Hajska)
Découverts il y a une dizaine au théâtre de Caen, avec « Rinaldo » (Haendel déjà) dans une mise en scène de Louise Moaty, le jeune chef tchèque Váklav Luks et son ensemble Collegium 1704 ne cessent de séduire par leur finesse d’interprétation du répertoire baroque. Avant de se produire dimanche 15 décembre, à la Chapelle Royale de Versailles, musiciens et chanteurs étaient, la veille, au théâtre de Caen. À cette marque de fidélité à la scène caennaise, répondait une salle pleine comme un œuf.
Parmi les oratorios qu’Haendel a composés dans la deuxième partie de sa carrière, « Le Messie » se classe en tête d’une notoriété qui ne faiblit pas. Sans doute puissamment inspiré par le livret de Charles Jennens _ certains diraient touché par la grâce _, le musicien a couché la partition en un mois à peine. Le résultat touche toujours autant. La version du Collegium y contribue.
L’œuvre retrace la vie du Christ, depuis son annonce, jusqu’à la Rédemption. Elle suit le calendrier liturgique chrétien qui va de la période l’Avent et Noël jusqu’à la Pentecôte. Le premier intérêt du Collegium est de permettre de goûter la qualité poétique de Jennens par une traduction lisible en surtitres. Elle se fond avec l’audition charmée d’entrée par la symphonie d’ouverture.
On est frappé par la science de l’équilibre qu’insuffle Váklav Luks à son ensemble, musiciens et chanteurs confondus. On le sent habité par la partition. Sa direction est à l’affût du moindre détail, de la moindre nuance. Le chef y participe de tout son corps, jambes en flexion, buste sur le pupitre, puis se redressant, bras, mains et doigts en mouvement à l’adresse de tel ou tel pupitre, se tournant enfin, attentionné, vers le ou la soliste, l’accompagnant du bout des lèvres.
L’auditeur se sent pris à son tour dans ce tourbillon, au tempo allègre, hormis le passage de la Passion, dont l’alto Benno Schachtner sait exprimer le drame d’une voix fiévreuse, déjà remarquée dans le passage prophétique. Les interventions développées avec assurance par Krystian Adam, ténor, et la force théâtrale de l’impressionnant Kreŝimir Stražanac, basse, donnent à la distribution des rôles un caractère convaincant. La soprano Johanna Winkel n’y échappe pas. Son timbre exprime douceur et confiance, en particulier dans l’air qui ouvre la troisième partie.
En tous points, l’accompagnement de l’orchestre et la réplique du chœur s’harmonisent. Il n’est que d’entendre l’escorte subtile du basson et des contrebasses pour apprécier la « balance » du Collegium. Ou encore l’intervention se jouant des difficultés d’Hans-Martin Rux, dont la trompette ajoute aux voix du chœur. Cela tient sans doute à la solidarité souriante des interprètes. Après un nouvel « Hallelujah », en bis, suivi d’une autre déferlante d’applaudissements, il n’est que de les voir se congratuler. Et nous, on descend de notre petit nuage surmonté de clarté.
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« Le Messie », concert du Collegium 1704 et Collegium Vocale 1704, le samedi 14 décembre 2019, au théâtre de Caen.
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