L’orchestre Les Dissonances a une nouvelle fois subjugué le public du théâtre de Caen. Et par la qualité de son programme germanique _ Richard Strauss, Alban Berg et Johannes Brahms _ et par sa méthode « sans chef » qui fait l’originalité de la formation fondée par le violoniste David Grimal. Le résultat témoigne un extraordinaire travail de cohésion pour une démonstration sans filet. A 75 musiciens sur scène, l’exploit n’est pas mince !
Comme un seul homme… Avec Les Dissonances, l’expression garde toute sa signification. Le problème est que de nos jours, elle ne paraît plus appropriée, surtout pour un orchestre à la fois jeune et mixte. On peut lui substituer « Comme une femme », trop restrictif là aussi. Alors : « Comme un être humain » ? Non, ça sonne bizarre malgré tout.
Bon, on aura compris ce qui caractérise Les Dissonances, l’implication et la responsabilité qui reposent sur chacun des musiciens. A y bien regarder, ils comptent parmi les meilleurs à l’image des quatre du Quatuor Hermès (Omer Bouchez, Elise Liu, Yung-Hsin Lou Chang, Anthony Kondo), qui se trouvent répartis dans le groupe ; de Doriane Galbe, qui a été huit ans violon solo à l’Opéra de Paris ; du violoncelliste Yann Levionnois, finaliste du concours 2017 du concours Reine Elisabeth. Pour ne citer que ces exemples.
Le ton est donné d’entrée par la suite orchestrale du « Chevalier à la Rose », l’opéra de Richard Strauss. Pas un pupitre qui ne soit pas réquisitionné pour cette œuvre. Et on se surprend à se dire qu’on a oublié celui réservé au chef d’orchestre devant le vide autour du premier arc de cercle des cordes.
Et au vu de l’impressionnant paquebot que forme l’orchestre, on se dit que le moindre mauvais coup de barre pourrait faire gîter l’ensemble. Eh bien non, dès les premières mesures des cuivres qui sonnent comme d’ardents coups de sirènes, puis les violons qui enchaînent tels des flots apaisés, on se sent en eaux claires. L’image du lac autrichien serait plus appropriée à l’ambiance viennoise de cette suite.
Elle synthétise toute l’intrigue du « Chevalier à la Rose », des soupirs de Maréchale et de son amant Octavian, qui, devenu messager du peu recommandable baron Ochs, tombe amoureux de la destinataire, la belle Sophie. Musicalement, l’orchestre des Dissonances offre une interprétation impeccable de description et de répliques, tourbillons des valses, parures cristallines, enfin flonflons joyeux.
L’atmosphère est toute différente avec le concerto pour violon « A la mémoire d’un ange ». David Grimal, qui tient le rôle de soliste, tient l’œuvre pour une des plus belles du XXe siècle. Exigeante aussi par l’imbrication des tonalités, la palette de ses nuances et la virtuosité acrobatique exigée par certains passages. Alban Berg l’a composé en hommage posthume à Manon Gropius, fille d’Alma Mahler. La jeune fille est morte en 1935, le jour du lundi de Pâques, des suites d’une paralysie de la colonne vertébrale contractée par une poliomyélite.
Cruellement, Berg ne connaîtra pas la première interprétation de son concerto, en 1936, à Barcelone. Le compositeur meurt quelques mois plus tôt, le jour de Noël 1935. La coïncidence des deux morts avec le calendrier chrétien n’est évidemment que fortuite. Mais comme évidente aussi la réflexion spirituelle qui anime l’œuvre, tel un requiem dont l’adagio final emprunte à un choral de Bach (« Es ist genug », « C’est assez »).
Près de vingt-cinq minutes de saisissement quasi hypnotique, cette lecture suscite un accueil chaleureux et reconnaissant, auquel David Grimal répond par une sonate de Bach. L’ombre du Cantor de Leipzig plane aussi sur la 4e Symphonie de Johannes Brahms identifiable dès les premiers accords chaloupés des violons.
Là encore, les musiciens des Dissonances font preuve d’une forme éclatante. Déjà, à la fin du concerto de Berg, David Grimal avait tenu à s’effacer devant tout le mérite de leur travail unique en son genre et dont la reconduite pour une telle œuvre n’était pas garantie. Le privilège s’est donc prolongé avec Brahms et cette merveilleuse symphonie.
Attaques au cordeau, velouté des bois, autorité et aussi douceur des cuivres, cordes toutes en assurance et délicatesse, c’est un ensemble en ordre harmonieux qui est en marche au fil des quatre mouvements qui tendent vers un idéal symphonique. Il fallait bien que le grand Bach apporte a posteriori sa bénédiction avec le thème final qui reprend le thème d’une de ses cantates (la BWV 150 « Nach dir, Herr, verlanget mich », « Vers toi, Seigneur, j’aspire ».
David Grimal justifie ainsi le choix et le déroulé d’un programme insérant le concerto de Berg, comme une consolation apaisée. Mais de façon plus pragmatique, c’est aussi un cœur réjoui, se consolant d’un printemps automnal, qui salue longuement la performance des Dissonances, arrivés à bon port. Sans coup de barre…
Concert donné le dimanche 8 avril 2018, au théâtre de Caen.
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’orchestre Les Dissonances a une nouvelle fois subjugué le public du théâtre de Caen. Et par la qualité de son programme germanique _ Richard Strauss, Alban Berg et Johannes Brahms _ et par sa méthode « sans chef » qui fait l’originalité de la formation fondée par le violoniste David Grimal. Le résultat témoigne un extraordinaire travail de cohésion pour une démonstration sans filet. A 75 musiciens sur scène, l’exploit n’est pas mince !
David Grimal, directeur musical mais pas chef d’orchestre des Dissonances. (Photo Martinez).
Comme un seul homme… Avec Les Dissonances, l’expression garde toute sa signification. Le problème est que de nos jours, elle ne paraît plus appropriée, surtout pour un orchestre à la fois jeune et mixte. On peut lui substituer « Comme une femme », trop restrictif là aussi. Alors : « Comme un être humain » ? Non, ça sonne bizarre malgré tout.
Bon, on aura compris ce qui caractérise Les Dissonances, l’implication et la responsabilité qui reposent sur chacun des musiciens. A y bien regarder, ils comptent parmi les meilleurs à l’image des quatre du Quatuor Hermès (Omer Bouchez, Elise Liu, Yung-Hsin Lou Chang, Anthony Kondo), qui se trouvent répartis dans le groupe ; de Doriane Galbe, qui a été huit ans violon solo à l’Opéra de Paris ; du violoncelliste Yann Levionnois, finaliste du concours 2017 du concours Reine Elisabeth. Pour ne citer que ces exemples.
Le ton est donné d’entrée par la suite orchestrale du « Chevalier à la Rose », l’opéra de Richard Strauss. Pas un pupitre qui ne soit pas réquisitionné pour cette œuvre. Et on se surprend à se dire qu’on a oublié celui réservé au chef d’orchestre devant le vide autour du premier arc de cercle des cordes.
Et au vu de l’impressionnant paquebot que forme l’orchestre, on se dit que le moindre mauvais coup de barre pourrait faire gîter l’ensemble. Eh bien non, dès les premières mesures des cuivres qui sonnent comme d’ardents coups de sirènes, puis les violons qui enchaînent tels des flots apaisés, on se sent en eaux claires. L’image du lac autrichien serait plus appropriée à l’ambiance viennoise de cette suite.
Elle synthétise toute l’intrigue du « Chevalier à la Rose », des soupirs de Maréchale et de son amant Octavian, qui, devenu messager du peu recommandable baron Ochs, tombe amoureux de la destinataire, la belle Sophie. Musicalement, l’orchestre des Dissonances offre une interprétation impeccable de description et de répliques, tourbillons des valses, parures cristallines, enfin flonflons joyeux.
L’atmosphère est toute différente avec le concerto pour violon « A la mémoire d’un ange ». David Grimal, qui tient le rôle de soliste, tient l’œuvre pour une des plus belles du XXe siècle. Exigeante aussi par l’imbrication des tonalités, la palette de ses nuances et la virtuosité acrobatique exigée par certains passages. Alban Berg l’a composé en hommage posthume à Manon Gropius, fille d’Alma Mahler. La jeune fille est morte en 1935, le jour du lundi de Pâques, des suites d’une paralysie de la colonne vertébrale contractée par une poliomyélite.
Cruellement, Berg ne connaîtra pas la première interprétation de son concerto, en 1936, à Barcelone. Le compositeur meurt quelques mois plus tôt, le jour de Noël 1935. La coïncidence des deux morts avec le calendrier chrétien n’est évidemment que fortuite. Mais comme évidente aussi la réflexion spirituelle qui anime l’œuvre, tel un requiem dont l’adagio final emprunte à un choral de Bach (« Es ist genug », « C’est assez »).
Près de vingt-cinq minutes de saisissement quasi hypnotique, cette lecture suscite un accueil chaleureux et reconnaissant, auquel David Grimal répond par une sonate de Bach. L’ombre du Cantor de Leipzig plane aussi sur la 4e Symphonie de Johannes Brahms identifiable dès les premiers accords chaloupés des violons.
Là encore, les musiciens des Dissonances font preuve d’une forme éclatante. Déjà, à la fin du concerto de Berg, David Grimal avait tenu à s’effacer devant tout le mérite de leur travail unique en son genre et dont la reconduite pour une telle œuvre n’était pas garantie. Le privilège s’est donc prolongé avec Brahms et cette merveilleuse symphonie.
Attaques au cordeau, velouté des bois, autorité et aussi douceur des cuivres, cordes toutes en assurance et délicatesse, c’est un ensemble en ordre harmonieux qui est en marche au fil des quatre mouvements qui tendent vers un idéal symphonique. Il fallait bien que le grand Bach apporte a posteriori sa bénédiction avec le thème final qui reprend le thème d’une de ses cantates (la BWV 150 « Nach dir, Herr, verlanget mich », « Vers toi, Seigneur, j’aspire ».
David Grimal justifie ainsi le choix et le déroulé d’un programme insérant le concerto de Berg, comme une consolation apaisée. Mais de façon plus pragmatique, c’est aussi un cœur réjoui, se consolant d’un printemps automnal, qui salue longuement la performance des Dissonances, arrivés à bon port. Sans coup de barre…
Concert donné le dimanche 8 avril 2018, au théâtre de Caen.
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