2020 aura été une année sans la 24e édition du Festival de Pâques de Deauville, victime d’un virus, dont on ne connaissait pas grand-chose et pas encore ses cousins anglais, sud-africain et brésilien. Un an après, on a appris à s’adapter à la pandémie. La 25e édition du festival deauvillais en témoigne. Faute de pouvoir accueillir du public, c’est elle qui vient à la rencontre des spectateurs, via internet. Samedi 17 avril ouvrait la série de cinq concerts, qui s’étalent jusqu’au 8 mai.
Ce 25e festival n’aurait pas été rendu possible sans la volonté commune des partenaires fidèles des Amis de la Musique à Deauville, la municipalité, la Fondation Singer-Polignac et le groupe Barrière qui fait plus qu’un geste. C’est qu’ont explicité le maire Philippe Augier et Yves Petit de Voize, le directeur du festival, en ouverture de cette première soirée au micro de Tristan Labouret pour RecitHall. Ce site retransmet les concerts en direct.
Dès lors, la salle Elie-de-Brignac prend un aspect inédit, plus proche du studio d’enregistrement que d’une enceinte de concert. La technologie a pris possession des lieux : écrans, câbles, caméras, micros occupent le parterre. Projecteurs de toutes dimensions aux faisceaux blancs, ocres et bleus créent autour du périmètre des musiciens une atmosphère vaporeuse. Du moins, c’est ce qu’on observe depuis les sièges inoccupés.
(Photos Claude Doaré)
Dans ce huis-clos particulier, la musique ne perd pas au change, tant, en l’absence du public, l’interprète se doit répondre à un défi. « Un exercice intellectuel et émotionnel » résumera à l’issue du concert l’altiste Adrien La Marca. Celui de faire passer l’intensité de la partition via micro et caméra. Mais le musicien renvoie en quelque sorte le compliment à l’auditeur concentré devant son écran. Il en parle comme d’un « acte de militant ».
Combien donc de « militants » ont ainsi cliqué sur leurs claviers via RecitHall, Facebook, France 3 Normandie, ou encore Musique.Aquarelle, le précieux site du Festival de Pâques et du Août musical de Deauville ? Trop tôt pour le dire, mais on sait que ce concert d’ouverture a été regardé et écouté jusqu’au Brésil et au Liban.
Deux œuvres majeures du répertoire de musique de chambre figuraient au programme de cette première soirée : le Trio n°1 opus 99 de Franz Schubert et « La Nuit Transfigurée » d’Arnold Schoenberg. Pour les deux Jérôme (Ducros, le pianiste et Pernoo, le violoncelliste), cofondateurs du festival deauvillais avec Renaud Capuçon et Nicholas Angelich, le Trio renouait avec leur premier concert dans la station normande, en 1997 (1).
Leur cadet, Pierre Fouchenneret, valeur sûre de la pépinière de talents du festival, a complété la formation. D’entrée, les cordes du violoncelliste sont de mèche avec celles du violoniste bouclé. L’œuvre de Schubert respire l’agrément d’une excursion en moyenne montagne. Ce pourrait être dans les environs de Vienne, en longeant un petit torrent, au débit vif et sinueux, et en quête d’une « gasthaus » animée, après une pause méditative, sinon mélancolique, comme le suggère l’andante, devant la beauté d’un paysage.
Au fil des mouvements, les échanges entre le violon et le violoncelle, successivement vigoureux, envoûtants, aériens, sautillants comme jeu de marelle. A la fois, complice et arbitre, le piano de Jérôme Ducros assure une cadence impeccable. Le quatrième et dernier mouvement offre un rondo épatant, ponctué de coups d’archet comme autant de coups de talon qui font voleter les jupons !
Du premier quart du XIX e siécle avec Schubert, le curseur du temps passe à l’aube du XX e avec la saisissante et impérissable œuvre de jeunesse d’Arnold Schoenberg, « La Nuit Transfigurée ». Le compositeur viennois a écrit cette partition qui s’interprète d’un seul jet pour un sextuor à cordes (elle sera ultérieurement orchestrée). On retrouve aux pupitres Jérôme Pernoo et Pierre Fouchenneret. Ils sont rejoints le violoniste Shuichi Okada ; Adrien La Marca, altiste avec Paul Zientara, tout nouveau dans « l’écurie deauvillaise », et le violoncelliste Jérémy Garbarg. Tous les six sont représentatifs des quatre générations qui se succèdent au festival depuis un quart de siècle.
La composition s’appuie sur un poème de Richard Dehmel, ami du musicien. Le texte développe le cheminement d’un couple d’amoureux. La femme dévoile qu’elle attend un enfant d’un autre. Son amant va lui pardonner et accueille cette maternité. La nuit étoilée symbolise cette image du bonheur
De gauche à droite: Shuichi Okada, Pierre Fouchenneret, violons; Adrien La Marca, Paul Zientara, altos; Jérôme Pernoo, Jérémy Garbarg, viloncelles. (Photo Claude Doaré).
L’œuvre de Schoenberg suit le déroulé des strophes où alternent description de la promenade et dialogues. Chaque moment est traversé par les sentiments silencieux mais non moins contrastés avec la confession et la réception de l’aveu, l’attente angoissée devant la réflexion, enfin le soulagement.
Sous la conduite de Shuichi Okada, à l’archet tour à tour incisif, affirmé, nuancé, le propos de Schoenberg laisse imaginer deux silhouettes à la Schiele, amoureuses et bouleversées jusqu’à cette fin heureuse que saluent les pizzicatti symbolisant les étoiles. Le long silence qu’impose le premier violon au terme d’une interprétation bouleversante de cohésion ajoute à l’émotion inséparable de ce chef-d’œuvre.
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Concert du 17 avril 2021, depuis la salle Elie-de-Brignac, Deauville.
Prochains concerts : samedi 24 avril, 20 h 30, Manuel de Falla (1876-1946) Maurice Ravel (1875-1937) Manuel Infante (1883-1958) ; dimanche 25 avril, 20h 30, Mieczysław Weinberg (1919-1996) Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893).
En direct sur RecitHall ; France 3 Normandie ; Facebook et sur la webradio du festival Music.aquarelle
Concerts enregistrés par France Musique pour des diffusions différées.
Renseignements : www.musiqueadeauville.com
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