Le festival de Pâques de Deauville a brillamment clôturé, samedi 8 mai, sa 25e édition. Dans un programme Ravel et Saint-Saëns qu’il a conçu, le pianiste Bertrand Chamayou avait associé les non moins talentueux Amaury Coeytaux, au violon, et Victor Julien-Laferrière, au violoncelle, ainsi que le très prometteur Marcel Cara, à la harpe. L’an prochain, le festival fêtera son quart de siècle. Quelques concerts permettront de découvrir l’auditorium des Franciscaines, le nouvel équipement culturel de Deauville aménagé dans un ancien couvent. Mais avant, il y a le prochain Août musical, avec un retour à la normale pour l’accueil du public. On l’espère bien !
Bertrand Chamayou fait partie des fidèles du festival de Pâques qui a révélé ce pianiste enthousiasmant au seuil des années 2000. Il en demeure un des piliers et chacun de ses rendez-vous à Deauville suscite un intérêt passionné pour les mélomanes. Aujourd’hui, Bertrand Chamayou entre dans la grande lignée des interprètes de Maurice Ravel.
On ne saurait trop recommander son enregistrement de l’œuvre pianistique du compositeur basque paru chez Erato en 2016. « Dans la musique de Ravei, tout se joue entre les lignes », avait-il expliqué à cette occasion. On ne saurait mieux exprimer ce caractère suspendu, cette approche sensitive qui traversent les partitions de Ravel. Bertrand Chamayou y excelle avec une dextérité inspirée, un sens abouti des nuances. (Photos Yannick Coupannec)
Ravel ravit
Son interprétation des cinq parties des « Miroirs » est captivante. Elle sert à merveille les subtilités évocatrices de Ravel, qui fait passer des insaisissables papillons de nuit à la douce sonorité poétique de cloches. En ouverture, Bertrand Chamayou a commencé par une œuvre qu’il joue le plus souvent en rappel, la célèbre « Pavane pour une infante défunte ». Ravel était sévère à l’égard de cette partition, dont le titre n’a pas d’autre signification que d’être un jeu d’allitération. Il n’empêche. Bertrand Chamayou a bien raison de garder dans son répertoire ce petit bijou. Ravel ravit et ravive notre imaginaire.
2021 marque le centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns (1835-1924). C’est bien l’occasion de découvrir ou redécouvrir une œuvre féconde, qui ne se résume pas au fameux « Carnaval des animaux ». Les deux pièces de chambre retenues pour ce concert lui sont postérieures. La Fantaisie pour violon et harpe a été composée en 1907. Saint-Saëns l’a dédiée aux sœurs Eissler, Marianne, violoniste et Clara, harpiste.
Doigté de dentellière
Cette œuvre singulière appelle à la virtuosité des interprètes, dont les instruments sont successivement mis en avant, chacun apportant sa sonorité particulière. Amaury Coeytaux et son jeune cadet, Marcel Cara en tissent les fils avec un doigté de dentellière. Les mouvements se succèdent sans interruption avec une incursion dans la musique baroque. Saint-Saëns, grand voyageur, séjournait en Italie pendant l’écriture de cette Fantaisie. Ce qui explique sans doute cette inspiration, qui donne à la harpe un rôle de basse continue.
Le Trio n°2 pour piano, violon et violoncelle est antérieur de quinze ans à la Fantaisie. Etait-ce parce qu’il trouvait son écriture fastidieuse et qu’il n’en voyait pas le bout, que Saint-Saëns, à lire son courrier à Charles Lecocq, prenait cette œuvre en grippe. Autodérision ou fausse modestie ? Allez savoir. Son correspondant ne manqua pas de le contredire. Ce Trio, en cinq mouvements, ce qui fait aussi son originalité, est à la fois héroïque et espiègle.
Feu d’artifice
Interprètes chevronnés qui se connaissent bien, Bertrand Chamayou, Amaury Coeytaux et Victor Julien-Laferrière, au violoncelle, n’en se retrouvaient pas moins pour la première fois à interpréter ensemble cette œuvre. Leur expérience cimente une cohésion complice à affronter une composition nourrie d’entrelacs et de méandres, où le final explose en feu d’artifice.
Il fallait bien ça pour conclure cette 25e édition « masquée ». Elle aura permis d’expérimenter la formule internet, dont le bénéfice a été d’élargir l’audience du festival. Les trois sites _ Facebook, Recit Hall et France 3 Normandie _ ont généré entre 5 000 et 10 000 avec un pic sur le concert d’orchestre de l’Atelier de Musique, le 1er mai. Chaque concert a compté de 500 à 1 000 spectateurs assidus sans décrochage avec le même pic sur le concert du 1er mai. Mais de l’aveu même des musiciens, la présence du public prévaut par cette énergie qui se crée entre la scène et la salle.
Situation qu’on devrait retrouver dès le prochain Août musical de Deauville, le « petit frère » du festival. Il aura lieu du 29 juillet au 11 août.
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Concert du samedi 8 mai 2021, salle Elie de Brignac à Deauville. Les concerts du festival sont encore accessibles sur la plate-forme Recit Hall. On peut les écouter en permanence sur la web radio Music.aquarelle.
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