Une oasis de bonheur musical dans un dimanche gris. Le récital de Véronique Gens accompagnée de l’ensemble I Giardini a fait la fête à la mélodie française, au théâtre de Caen. Sur le thème de la nuit, celle des rêves d’amour, celle de la fête mais aussi celle des angoisses et des cauchemars, la chanteuse a interprété, entre autres, Hector Berlioz, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré et jusqu’à Louis Guglielmi, l’auteur « La Vie en Rose ». Autant de témoignages d’une période féconde, musicalement aussi.
On la connaît, on l’a vue ici comme magnifique chanteuse du répertoire baroque, dont elle défendait les grands rôles. Véronique Gens s’affirme aussi comme une des grandes voix de la mélodie française. Elle œuvre au sein du Palazetto Bru Zane de Venise qui abrite le Centre de musique romantique française. Cet organisme vise à faire redécouvrir des pages d’une époque riche de bouleversements esthétiques, tout autant que socialement troublée. Véronique Gens (Photo: Sandrine Expilly).
Le récital de Véronique Gens enjambe plus d’un demi-siècle marqué d’un bout à l’autre par deux catastrophes aussi différentes que traumatisantes, respectivement 1870 et 14-18. Ceci, juste pour donner par commodité quelques jalons temporels, d’où on exclura Hector Berlioz pour éviter un anachronisme. Cela n’enlève en rien la veine novatrice du compositeur. Au contraire.
« L’île inconnue » (1856) qui ouvre le concert après « Trois Poèmes de Guillaume Lekeu, donne au poème de Théophile Gautier un souffle en quête d’amour, qui tourne à l’amer. Ce peut être aussi la perte de l’amer au sens de point de repère, en navigation. La nuit invite au voyage, réel ou fantasmé.
Quatre cordes et un piano
C’est Jules Massenet dont « La Nuit d’Espagne » sur un poème de Louis Gallet, où les staccatos tapent comme des coups de talon. Déjà introduit par l’ondoyante « Orientale », mélodie instrumentale d’emblée charmante de Fernand de La Tombelle, le « Désir d’Orient » du grand voyageur Camille Saint-Saëns joue de ces volutes voluptueuses. Elles se concluent sur une pièce quasi orchestrale conduite avec une autorité bien arrondie par le quintette cordes et piano d’I Giardini.
I Giardini dans la formation qui a enregistré « Nuit » chez Alpha. En bas, les fondateurs de l’ensemble, Pauline Buet et David Violi. En haut (de gauche à droite), Shuichi Okada, Pablo Schatzman, violons; Léa Hennino, alto. (Photo: DR).
L’originalité de ce concert est d’avoir adapté l’accompagnement de ces pièces vocales à un ensemble de quatre cordes et un piano. Pour Pauline Buet, la violoncelliste fondatrice d’I Giardini avec le pianiste David Violi, c’est l’occasion de dire son plaisir de retrouver sa ville natale. Après des conditions de route délicates quand les essuie-glaces tombent en panne !
Rien de cela sur scène au fil de ces airs aimés, magnifiés par le timbre pénétrant d’émotions de Véronique Gens. À l’exemple de son interprétation tragique et sensuelle de « Chanson perpétuelle », le poème de Charles Cros mis en musique par Ernest Chausson. Plus encore peut-être par le texte de Heine traduit par Guy Ropartz « Ceux, qui par les morts d’amour » et dont la composition se termine par un diminuendo déchirant.
Chasse à ces sentiments sombres, la suite du récital évoque ces nuits de fête propices à la fantaisie coquette, à la futilité. Le mouvement Molto vivace du quintette n°1 opus 7 de Charles-Marie Vidor donne le ton. La « Belle Époque », pas aussi belle qu’on veut bien le dire _ mais l’Histoire ne cesse d’apprendre à se méfier des œillères _ en est le symbole que réveille avec sa « Revue, une dernière Valse » (1926) le mondain pétri de talent qu’est Renaldo Hahn.
Véronique Gens reprend cette mélodie dans un bis, copieusement réclamé. Il est précédé par « J’ai deux amants », tiré de « L’Amour masqué » d’André Messager. On en connaissait la délicieuse interprétation de Felicity Lott, presque une référence. Véronique Gens sait aussi en extraire toute la drôlerie que feraient bien de découvrir nos néo-féministes. De même avec la « La Vie en Rose » tant associée à Edith Piaf, Véronique Gens se démarque intelligemment par une version sobre et simple et d’autant plus touchante.
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Récital donné le dimanche 5 décembre, à 15 h 30, au théâtre de Caen. Ce concert a fait l’objet d’un enregistrement l’an dernier. Paru chez Alpha, il a été très chaleureusement accueilli (Choix de France Musique ; Diapason d’or ; Choc Classica ; la Clef de Res Musica).
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