Les Cambini-Paris ont retrouvé leur route 68, celle de l’intégrale des quatuors de Joseph Haydn. Restés en panne pour cause de pandémie, Julien Chauvin, Karine Crocquenoy, Pierre-Éric Nimylowycz et Atsushi Sakaï ont dû suspendre leur parcours. Après une reprise à la fin de la saison dernière, ils en arrivent à leur treizième étape avec la clé un public de supporters. Ils ont fait grimper à son maximum la jauge des foyers du théâtre de Caen. Et le bonus est venu de Didier Wirth. Le président de l’Institut européen des jardins et paysages et aussi propriétaire du château de Brécy, dans le Bessin, est venu parler de sa passion. On y trouve des analogies avec la musique.
À chaque concert du Quatuor Cambini, est tiré au sort une des pièces de Haydn qui s’intégrera aux deux autres œuvres choisies pour l’étape suivante. Le hasard aura bien fait les choses. C’est un programme significatif de trois grandes périodes du protégé Prince Esterhazy qui s’offre à cette soirée. Un « digest » associant un quatuor des débuts (Opus 1 n°2) avec, à l’autre bout, l’Opus n°64 n°4 de la période anglaise et, entre les deux une des œuvres de la maturité, l’Opus 33 n°3 dit « L’Oiseau ».
On parle encore de « divertimento a quattro » s’agissant de ce qui deviendra un genre à part entière sous la plume de Haydn. Avec cette caractéristique de placer, dès en deuxième position, le menuet ou scherzo, précise le musicologue Clément Lebrun, fidèle commentateur de la Route 68.
D’emblée, le charme opère avec la grâce de pieds glissés. On note les regards complices de Pierre-Henri Nimylowycz, à l’alto et du violoncelliste Atsushi Sakaï à la fin des phrases. Y répond la connivence tacite des deux violons, Julien Chauvin et Karine Crocquenoy.
Les éditeurs de musique contribuent à la popularité des quatuors. Le jeu est de leur donner un nom. « L’Oiseau » tient sans doute au long premier mouvement très chantant de l’Opus 33 n°3. Quand il le compose, Haydn renoue avec une forme à laquelle il n’a plus touché depuis plus de dix ans. On est en 1782. Entre temps, le musicien a travaillé sur plusieurs autres genres, comme l’opéra. Non sans conséquence dans la série de l’Opus 33. On y décèle d’autres idées, des motifs nouveaux, fait observer Clément Lebrun.
Un des exemples s’inscrit dans le scherzo. du cadre des graves de l’alto et du violoncelle s’échappent les élans des deux violons. Ils mènent la danse jusqu’à une sorte de retour dans la cage des basses. D’où là aussi peut être l’idée de l’oiseau. L’adagio qui suit ajoute une forme symphonique qu’enchaîne un presto enlevé. Le tout dans une exécution enthousiasmante et propice à parler jardin en termes de composition, d’harmonie, de contraste.
Et aussi d’interprétation. De même qu’on a pas une idée sûre de la façon dont sonnaient les instruments d’autrefois, il n’y a pas à proprement parler de « jardin historique », explique l’invité du concert, Didier Wirth. Aucune des plantes du Versailles de Louis XIV n’existe encore. Les jardins évoluent. Le parc du Roi-Soleil s’étendait sur 800 hectares et occupait 400 jardiniers.
On n’en est plus là avec une surface diminuée des trois-quarts. Et aujourd’hui, l’aménagement des bosquets doit prendre en compte l’affluence touristique. La conservation d’archives facilite bien sûr la restitution d’un jardin. Quand ça n’est pas possible, il faut réinventer avec le style et le type de plantes. Didier Wirth aime la formule « terrain, terreau, territoire ».
Elle appuie ses réflexions sur plusieurs types de jardins remarquables, présentés par des photos. Le propriétaire du château de Brécy entraîne dans un tour de France : Vaux-le-Vicomte ; Eyrignac, en Dordogne ; le Grand Jardin de Haute-Marne ; Ainay-le Vieil, dans le Cher ; La Ballue, à Bazouges-la-Pérouse (Ille-et-Vilaine) ; Le Touvet (Isère) ; Villandry (Indre-et-Loire) ; le Parc de Courrances, enfin, dans l’Essonne.
Didier Wirth a cette belle comparaison. « La musique n’existe que quand elle est jouée ; le jardin, lui, n’existe que quand on y est ». C’est une invitation à la promenade, à la découverte, à la contemplation. En cela, un jardin sans bancs, ni sièges est inconcevable.
Comme dans une salle de concert. Et c’est bien assis qu’on apprécie le troisième quatuor du programme. L’Opus 64 n°4, placé sous le signe de l’inattendu, avertit Clément Lebrun, qui avertit d’une logique globale entre les mouvements. Parlerait-il d’un fil rouge ? Du Menuet qui succède à l’Allegro d’ouverture, on retient l’élégance du mouvement ponctué par les pizzicati, puis le langoureux de l’Adagio que coiffe un délicieux final sur le mode presto pour des oreilles comblées.
Concert donné le lundi 13 décembre 2021, dans les foyers du théâtre de Caen.
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