Edvard Grieg et Olivier Messiaen étaient au programme du cinquième concert du Festival de Pâques 2022 de Deauville. Hormis une citation, le point commun entre le compositeur norvégien et le musicien français, dont on célébrait, à deux jours près le 30e anniversaire de la disparition, tient surtout aux interprètes. Le pianiste David Kadouch et le violoncelliste Edgar Moreau réunis pour la Sonate en la mineur de Grieg ont retrouvé, ensuite, Raphaëlle Moreau au violon et Raphaël Sévère à la clarinette, pour une lecture magistrale de Messiaen et son Quatuor pour la fin du Temps.
On a suivi leurs premiers pas sur scène, il y a entre dix et quinze ans. Ce qu’ils promettaient s’est confirmé au fil des éditions deauvillaises. La Sonate de Grieg (1843-1907) donne à David Kadouch et à Edgar Moreau l’occasion de déployer un jeu basé à la fois sur l’entente et la réplique.
L’œuvre, créée en 1883, fait écho à un second concerto resté dans les limbes de l’inspiration. La partition en fait trace par son ampleur. Est-ce aussi l’origine nordique de Grieg qui laisse évoquer les évolutions de patineurs, à la fois répétées et changeantes, comme la lumière d’une journée ? La virtuosité des musiciens est sollicitée pour s’accélérer dans l’allegro du troisième et dernier mouvement, marqué par des reprises de souffle et un final où chacun veut avoir le dernier mot…
Le Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier Messiaen est d’une toute autre nature. Le compositeur fait prisonnier dans la débâcle de 1940, écrit ces pages dans l’hiver qui suit sous la neige de Görlitz, en Silésie. L’œuvre est créée le 15 janvier 1941 pour une formation adaptée aux moyens du bord. Messiaen est au piano accompagné par trois autres musiciens, compagnons d’infortune, au violon, violoncelle et clarinette.
La littérature qui décortique ce quatuor est abondante. La pièce en huit tableaux se singularise par son inspiration spirituelle, celle d’un catholique fervent qui puise dans l’Apocalypse de Saint Jean, et par une construction rythmique et harmonique riche de références et de recherches. Des interprètes parmi les plus réputés ont souffert physiquement à répondre à l’intensité de ce chef d’œuvre.
Une affaire de dosage sans doute, tant simplicité et humilité paraissent des exigences premières, au-delà même des indispensables qualités techniques, pour répondre aux intentions du compositeur. Raphaël Sévère les intègre totalement. Le clarinettiste le démontre dans le redoutable solo à couper le souffle de « L’Abîme des oiseaux ». Il le connaît parfaitement avec une science fervente de la sonorité.
On lui doit un enregistrement très remarqué (2019) du Quatuor avec trois autres musiciens familiers du festival de Pâques, Théo Fouchenneret, David Ptrelik et Volodia Van Keulen. On se laisse penser à même réussite avec le groupe formé autour du clarinettiste par David Kalouch, Edgar et Raphaëlle Moreau _ chez les Moreau, ils sont une fratrie de quatre, la musique est, comme dans le clan Girard, affaire de famille.
Œuvre ô combien contrastée, ce quatuor a un effet magnétique. Les quatre interprètes poussent leurs ressources jusqu’à cette ligne ascensionnelle, pure et claire du legato au dernier tableau « Louange à l’immortalité de Jésus ». Le violon de Raphaëlle Moreau, soutenu par les accords rythmiques du piano, y est bouleversant. Un grand moment du festival.
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Concert donné le vendredi 29 avril 2022, salle Elie-de-Brignac, à Deauville.
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