Justin Taylor, le clavier bien tempéré

Evidemment, on ne pouvait prévoir que le récital de Justin Taylor coïnciderait avec la demi-finale du Mondial, France-Maroc ! On peut être mélomane et amateur de football. Difficile quand même de ne pas céder au plaisir d’entendre le jeune surdoué du clavecin dans un programme Rameau, ce soir-là dans les foyers du théâtre de Caen. Lui-même n’est pas insensible au ballon rond. Et de façon prémonitoire, il a inscrit dans ses bis une « Marseillaise » enjouée. Au même moment, à peu près, Randal Kolo Muani, à peine entré sur le terrain, marquait le deuxième but expédiant les Bleus en finale !…

On doit le lui dire à… l’en lasser ! Justin Taylor conserve cette allure de lycéen. Tenue grise et baskets blanches, il s’installe au clavecin comme on retrouve un ami. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) a été son premier coup de cœur. Elle a déterminé la voie d’un Justin enfant, brûlant les étapes de son apprentissage jusqu’à multiplier les prix dès son adolescence.

Rameau, donc. Le claveciniste n’a de cesse d’en défendre la musique, dont il a réalisé un enregistrement, il y a un an et demi, sous le titre « La Famille Rameau » (Alpha). Son programme en est le calque avec le charme unique du direct, qui associe la parentèle du compositeur, Claude, le petit frère, Lazare, le neveu. Et aussi, en invité, le gambiste et compositeur Jean-Baptiste Forqueray, de seize ans le cadet de Jean-Philippe Rameau.

La pièce « Les Tendres Plaintes » ouvre avec sensualité et délicatesse le récital, qu’enchaîne le « Menuet Borosais », miniature primesautière de Claude Rameau. Et sans coup férir, nous voilà dans la basse-cour, si bien suggérée par le maître de Dijon, de « La Poule ». Au caquètement se laisse imaginer la démarche et la tête en mouvement du gallinacé.

Justin Taylor excelle dans ces pages d’humour ou d’évocation sonore, qu’on retrouve avec « Le Rappel des Oiseaux » et leurs effets de volière. Son toucher étonnant de justesse et de finesse est aussi à l’aise avec « L’Egyptienne », virevoltante et enjouée.

Sorte de mise en oreille avant le premier « tube » de la soirée, celui des « Sauvages » tiré des « Indes Galantes ». Justin Taylor se et nous régale de variations sur cet air célèbre, lyriques, syncopées, se déversant en cascade. Sa virtuosité époustouflante se déploiera encore dans le final avec « La Gavotte et doubles », autre « tube », dont les digressions sur le motif entêtant soulèvent l’enthousiasme.

La pièce « Jupiter », de Jean-Baptiste Forqueray, avait fait office quelque temps auparavant de « sparring partner » par ses effets spectaculaires. Ceux-ci ne masquent pas pour autant les qualités poétiques de l’art d’interprétation du claveciniste. En témoignent ses versions de « L’Allemande » en mi mineur, ou le « Rondo gracioso » de Lazare Rameau, fait tout à la fois de charme et de gravité.

Avant un deuxième bis, avec Bach, Justin Taylor offre un rappel facétieux, avec une « Marseillaise » transcrite au clavecin par Claude Balbastre. Elle valut sans doute à celui qui fut professeur de musique de Marie-Antoinette, de sauver sa tête ! Au même moment, Didier Deschamps, l’entraîneur des Bleus, sauvait la sienne (au sens figuré bien sûr !), sur la pelouse de Doha…

 

Concert donné le mercredi 14 décembre 2022, au théâtre Caen.

 

Information. Des problèmes informatiques ont affecté le site du Martimpression, empêchant la publication de deux comptes rendus sur le 16e concert de l’intégrale des quatuors de Haydn, par le Quatuor Cambini-Paris et de « Combattimento, la théorie du cygne noir » par l’Ensemble Correspondances. Nous les mettrons en ligne dès que possible.

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.