« Les Fourberies de Scapin », les facéties de Porras

Quatre après « Les Fourberies de Scapin », version Denis Podalydès et les comédiens du Français, le Théâtre de Caen a accueilli l’interprétation d’Omar Porras et de sa compagnie helvète. D’une adaptation à l’autre, on mesure combien le génie de Molière inspire et prête à des variations recevables. Celle du metteur en scène colombien verse bien dans son style, offrant une démesure salutaire, colorée et musicale. Un bain de jouvence pour passer d’une année à l’autre.

Mais qu’allait-il faire dans ce Molière ? On pourrait parodier la réplique fameuse des « Fourberies » (Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?), s’agissant d’Omar Porras. La réponse ne se fait pas attendre dès le lever de rideau. Le burlesque pointe son nez dans un décor de « cantina » digne d’une opérette de Francis Lopez, avec des personnages aux maquillages et masques  empruntés à la commedia dell arte ou la Famille Semianiky, c’est selon. Les gags sont en embuscade, avec leur cortège de bruits incongrus qui se réfèrent tant à Chaplin qu’aux Deschiens ou à Jérôme Savary. Le tout est pimenté de quelques irrévérences religieuses, estampillées latino.

L’intrigue des « Fourberies de Scapin », est, il faut l’avouer, plutôt tordue. Molière semble en être conscient quand il fait dire à Carle, interrompant Octave et s’adressant à Scapin, que les explications du jeune maître pourraient être plus simples. Bon, en deux mots et un peu plus, le seigneur Argante, père d’Octave et Mme Géronte, mère de Léandre, sont en voyage, chacun de son côté. A leurs retours respectifs, surprise ! Octave a épousé secrètement Hyacinthe. Léandre, lui, est amoureux de Zerbinette, jeune diseuse de bonne aventure, qui fut esclave en Egypte.

Octave en appelle à Scapin, le valet de Léandre, pour amadouer Argante. Le serviteur va enfumer le vieil homme et réussir l’exploit de lui soutirer une coquette somme. De même avec Mme Géronte. Il lui fait avaler une histoire d’enlèvement de son fils par les pirates turcs (d’où l’exclamation, « Qu’allait faire… ? »), pour lui rafler moult écus en paiement d’une pseudo-rançon.

Scapin n’en reste pas là. Il a un contentieux avec la mégère. Prétextant la venue des ravisseurs, il la persuade de se cacher dans un sac. Et en mâle non déconstruit, il réserve à la bourgeoise une bastonnade. La Géronte découvre qu’elle est dupée. En dépit d’un bras et d’un pied plâtrés, tout finit par s’arranger dans cette pièce somme toute iconoclaste.

Scapin, dans une dernière pirouette, se met dans la poche les deux parents. L’amour libre l’emporte. Et la révélation de l’identité de Zerbinette _ on découvre qu’elle est la fille d’Argante _ assure le consentement de son géniteur.

Omar Porras s’offre quelques libertés pour faire durer le plaisir. Il y intègre des intermèdes sous forme de comédie-ballet, kitsch sixties, propre à faire sourciller les amateurs de Lully ou de Charpentier. Géronte est un vieillard dans la pièce de Molière. Il devient Madame Géronte campée par Olivia Dalric, manteau de fourrure, tailleur façon Chanel, coiffure de caniche. Le metteur en scène se joue de contrastes. Les personnages féminins dépassent d’une bonne tête leurs partenaires hommes.

Ainsi Caroline Fouilloux, en Hyacinthe, grande tige, mâchoire british d’où surgissent des suraigus modulés selon l’effet recherché. A côté d’elle, Karl Eberhard fait petit bouchon. Il incarne Léandre, tête à la Jerry Lewis option ahurie, râblé dans un invraisemblable costume à carreaux, veste et culotte anglaise. Pascal Hunziker, Octave, silhouette de farfadet, dans une tenue rose dragée, fait tout menu auprès de Zerbinette, incarnée par une Marie-Evane Schallenberger, en rousse épanouie.

Peggy Dias fait une composition remarquable dans la peau du Seigneur Argante, petit vieux ramassé dans complet veston beige, à la démarche tremblotante. Laurent Natrella, fraîchement issu de la Comédie française, « scapine » à souhait en Scapin roublard. Nez pointu et tignasse empaillée, il s’acquiert la complicité du public, tel Guignol, s’amuse avec lui et s’acquiert un succès dans un numéro de jambes à faire pâlir des danseuses du Crazy Horse !…

Le salut final reste à la sauce Porras, avec des projections vers la salle d’arcs-en-ciel de serpentins. Le public est ravi.

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Les Fourberies de Scapin par le TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens, représentations au théâtre de Caen, du jeudi 29 au samedi 31 décembre 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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