« Othello », ou le mouchoir mouchard

« Othello », dont la première représentation date de 1604, dénote dans l’œuvre de William Shakespeare (1564-1616). Elle est rarement jouée au théâtre et son garde surtout en mémoire son adaptation cinématographique par le grand Orson Welles. Il y est moins question de bataille que de jeux d’influence. Le metteur en scène Jean-François Sivadier en tire les ficelles avec une délectation rusée. Une distribution en pleine forme y concourt. En tête, le toujours excellent Nicolas Bouchaud, manipulateur en chef dans le rôle de Iago, distillateur de poison verbal. C’est au théâtre de Caen jusqu’à ce samedi soir.

Maure à Venise, mort à Chypre, tel est le destin d’Othello, ancien esclave africain devenu chef des armées dans la cité des Doges. La victoire sur les Turs est expédiée en quelques mots. Ça n’est pas au combat que l’homme s’est auto-occis, mais au terme d’un lent processus de trouble psychologique. Les allusions perfides de Iago distribuées au goutte-à-goutte finissent par convaincre le gouverneur. Desdémone, sa jeune aimée, le trompe avec Cassio, son lieutenant fraîchement promu à la fureur Iago qui convoite la place.

Au final, un grand linceul couvre quatre corps. Desdémone a été étranglée par Othello, qui s’est lui-même puni. Emilia, a été tuée par son propre mari, Iago. Elle n’a eu que le tort de dénoncer la machination révélée par un simple mouchoir. Roderigo, enfin. L’ancien prétendant de la jeune femme restait un complice potentiellement gênant aux yeux de Iago qui l’avait poussé, sans succès, à tuer Cassio.  « Conclusion sanglante », constate Lodovico, le cousin de Desdémone. Pour Iago, c’est la promesse d’une mort aussi lente que cruelle. Il l’accueille avec le sourire du Joker, le tueur maléfique de Gotham City. Comme une pirouette crâneuse.

Il y a souvent un côté lutin dans le travail de Jean-François Sivadier. Sa perception d’«Othello » en révèle quelques facettes facétieuses. Elle évolue sur une ligne de crête entre comédie et tragédie, bouffonnerie et drame. Jean-Michel Déprats, qui signe le texte français et lui prennent des libertés avec Shakespeare. Elles prennent la forme de disgressions sur le machisme, par la voix de Iago, ou sur la légitimité du pays natal, comme s’interroge Othello.

Le metteur en scène intègre des passages chantés, empruntés tant à Queen « We will rock you », qu’à Dalida (« Paroles ») ou encore à Juliette Gréco (« Déshabillez-moi »). Autant d’anachronismes et autres fantaisies sorties du livret, qui sont la liberté du théâtre. Jean-François Sivadier s’en régale. Cela n’enlève en rien le fondamental de la pièce, que sont les manœuvres insidieuses de Iago. Elles sont portées par une prose d’une remarquable acuité.

Il y a cette idée lumineuse, où, au quatrième acte (?), en tout cas, juste à la reprise après l’entracte, le dialogue entre Othello et Iago est bissé. Mais leurs répliques sont interverties. Cette réversibilité des arguments révèle une ambigüité dont Othello sera à la fois le complice et la victime. Et aussi cette scène qui tient à un voile, où Cassio se trouve à prendre en main le mouchoir offert par Othello à Desdémone.

Derrière la drôlerie du moment se noue le nœud du drame. Tout a été imaginé par Iago. Emilia en a été l’auxiliaire malgré elle. Du moins, elle a cédé à l’échange entre un collier de diamants et le mouchoir de sa maîtresse. Le précieux morceau de tissu devient le mouchard fatal, aveuglant de jalousie Othello.

Acteur fétiche de Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud signe à nouveau un retour époustouflant sur la scène du théâtre de Caen. Dans le rôle du fourbe, du « faux-derche », il est remarquable de retenue perverse ! Toute la pièce tient au plan cynique que met progressivement en place son personnage et la déchéance est symbolisée par une chemise de nuit ensanglantée. Elle devient celle du condamné.

Nicolas Bouchaud témoigne d’une énergie à la limite de la rupture dans laquelle toute la distribution est entraînée. Elle évolue dans un décor sobre sans références historiques, neutre comme les costumes. Fait de montants lumineux et de rideaux translucides, il donne la part belle au plateau, aux éclairages et, bien sûr, au jeu. Adama Diop (Othello), Stephen Butel (Cassio) et Gulliver Hecq (Roderigo), font preuve d’engagements convaincants.

Émilie Lehuraux incarne Desdémone et joue aussi celui, plus secondaire de Bianca, la prostituée amante de Cassio. Sa jeunesse pèche un peu en femme d’Othello, qu’on verrait plus passionnée, plus enflammée. Cyril Bothorel promène sa longue silhouette incarnant à tour de rôle, Brabantio, le père de Desdémone, Montano, le prédécesseur d’Othello comme gouverneur de Chypre, Lodovico, qui décide du sort de Iago. Jisca Kalvanda occupe brièvement le poste de Doge de Venise avant de devenir une Emilia victime de son remords et de sa loyauté. L’anti Iago, finalement.

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Au théâtre de Caen, représentations données jeudi 12, vendredi 13 (20 h) et samedi 14 janvier (18 h).  Rens. 02 31 30 48 00.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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