« The Indian Queen » par Concert d’Astrée emmené par Emmanuelle Haïm, dans une mise en scène de Guy Cassiers, a fait sensation au théâtre de Caen. De longues minutes d’applaudissements ont salué cette production singulière et envoûtante. A la fois théâtre et opéra, l’œuvre de Purcell, restée inachevée, se trouve comblée, dans tous les sens du terme, par un choix d’extraits tirés des répertoires du compositeur et de son contemporain, Matthew Locke. Un usage éclairé de la vidéo et des interprètes remarquables tant dans la fosse que sur le plateau concourent à cette belle réussite.
Il y avait eu la création de « Xerse » de Cavalli et Lully, vue à Caen, en 2016. Cette fois, c’est Purcell et son « Indian Queen » qui réunissent à nouveau Emmanuelle Haïm et le metteur en scène belge Guy Cassiers. En fait, cette collaboration nouvelle remonte à 2019. La pandémie en a troublé le calendrier, jusqu’à cette reprise partie pour neuf dates, dont le théâtre caennais vient de donner le coup d’envoi.
« The Indian Queen » connaît une genèse assez complexe. L’œuvre tient son origine dans une pièce de théâtre signée John Dryden et Robert Howard avec un accompagnement musical de John Banister. Elle est jouée en 1664. L’épisode puritain de Cromwell, qui ne tolérait que la musique religieuse, n’est plus alors qu’un mauvais souvenir. L’Angleterre connaît un regain culturel.
Depuis la découverte du continent américain, l’exotisme est à la mode. On parle alors des Indes occidentales s’agissant des civilisations inca et aztèque. Elles stimulent l’imaginaire de Dryden et Howard, qui situent l’intrigue avant la conquête espagnole. L’histoire quelque peu tarabiscotée se nourrit de passions et d’ambitions politiques. Sur fond de guerre, la princesse inca Orazia est devenue l’enjeu de rivalités entre protagonistes de ce conflit. Traîtrises, sacrifices, choix cornéliens émaillent une progression dramatique aux allitérations raciniennes jusqu’à une conclusion heureuse mais tachée de sang.
On parle à l’époque de « semi opéra ». Théâtre et musique alternent plus qu’elles ne se fondent. L’un est le double de l’autre et réciproquement. Dans le cas de « The Indian Queen », il s’agit plus précisément de « drame héroïque ». Le genre est caractéristique de cette « Restauration anglaise » qui marque le dernier tiers du XVIIe siècle.
Purcell en est un des acteurs, qui reprend, trente après les premières représentations, la partition de « The Indian Queen ». Il meurt en 1695, laissant son travail inachevé. Il a écrit le prologue et la musique des deuxième et troisième actes. Son frère, Daniel, composera pour le cinquième et dernier mais sans atteindre la qualité de son aîné.
Au reste, Emmanuelle Haïm ne s’y attache pas. Elle opte pour les musiques additionnelles dans la production d’Henry Purcell lui-même. Largement d’ailleurs dont, à titre d’exemple, les musiques pour l’anniversaire puis pour les funérailles de la Reine Mary. Le recours à Matthew Locke n’intervient qu’à l’ouverture du quatrième acte.
Par un recours original et spectaculaire à la vidéo, Guy Cassiers développe sa mise en scène autour de cette notion de dédoublement. La pièce a été enregistrée par les comédiens, femmes et hommes, grimés et aux costumes chamarrés. Leur jeu se déploie sur cinq écrans mobiles sur fond d’images de ruines et de chaos rapportées de Syrie par le photojournaliste mexicain Narciso Contreras. L’apparition, souvent en gros plan, des acteurs ajoute à la dimension héroïque de l’œuvre.
Ce sont ces mêmes comédiens _ exception faire de l’interprète de la reine Zempoalla _ qui reprennent leurs rôles sur le plateau, sobrement habillés de noir. Evoluant dans un éclairage entre chien et loup, ils agissent en situation de post-synchronisation restituant la voix de leurs propres personnages filmés. La performance est étonnante, qui implique, quasiment à l’aveugle un « timing » métronomique. Elle gomme les légers décalages observés ici et là.
Guy Cassiers réunit là une équipe attachante de comédiens anglais, rodés tant à la scène qu’à l’écran. Leur qualité d’élocution pourrait servir d’exemple à bien des comédiens français. Leur phrasé clair et modulé est un bonheur d’écoute, mention particulière à Benjamin Porter dans le rôle de Traxalla. Sans excès d’effets, sa voix, à la frontière du parler-chanter, rend limpides les mots et tend à se substituer au surtitre.
Le sur titrage n’en est pas moins utile, sinon nécessaire pour suivre les arcanes de l’intrigue. Encore que. Entre la lecture du texte, aux prix d’un torticolis dans les premiers rangs, le jeu sur le plateau, les écrans vidéo… et la musique, le spectateur-auditeur, fortement sollicité, peut ressentir une certaine perturbation. En deuxième partie, cette gêne disparaît. Comme si une familiarité s’est installée, optant de ne pas se disperser dans l’attention à la scène.
La partie musicale est là aussi pour inscrire son pendant dramatique. L’enthousiasme d’Emmanuelle Haïm est toujours aussi communicatif. Son Concert d’Astrée sert merveilleusement la musique de Purcell. Et côté chant, là encore, un chœur magnifique de chanteurs d’Outre-Manche. A un moment, ils ajoutent une gestuelle qui tient de la comptine et de la langue des signes.
On retient dans quatrième acte, une suite heureuse avec le duo entre le ténor Nick Pritchard et le baryton Gareth Brynmor John, « By beauteous softness » ; les solos des sopranos Anna Dennis, à la silhouette androgyne, et Rowan Pierce, à la troublante ressemblance avec Elisabeth Hopper, qui incarne la princesse Orazio. Comme une histoire de double.
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« The Indian Queen », représentations données au théâtre de Caen, jeudi 2 et vendredi 3 mars 2023.
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