« La Puce à l’oreille », sosie fan tutte…

Un Feydeau par la Comédie Française est une occasion qui ne se manque pas. Le public du théâtre de Caen ne s’y trompe pas, qui emplit les cinq représentations de « La Puce à l’oreille ». La pièce n’avait pas été montée depuis son entrée dans le répertoire de la prestigieuse compagnie, en 1978 ! La metteuse en scène suisse Lilo Baur, familière de la maison Molière, s’en est emparée avec la complicité active d’une troupe au diapason d’un vent de folie. Une cure de rire bien salutaire.

Deux femmes, Raymonde Chandebise (Anna Cervinka, à droite) bien décidée à piéger son mari, Victor Emmanuel, avec la complicité de son amie Lucienne Homénidès de Histangua (Pauline Clément). Photo Brigitte Enguerand.

Le quiproquo est un ressort comique dont peuvent se régaler les auteurs de pièces de théâtre ou de livrets d’opéra bouffe, à l’instar du « Cosi fan tutte » de Mozart. Molière a été un maître en la matière. Plus tard, Eugène Labiche a excellé dans le genre y ajoutant un burlesque, que son cadet  Georges Feydeau (1862-1921) a développé à loisir. « La Puce à l’oreille » est un modèle de vaudeville, même si on peut préférer deux de ses pièces antérieures « Le Dindon » ou « L’Hôtel du Libre Echange ».

Feydeau donne lui-même la recette : « un gramme de d’imbroglio, un gramme de libertinage, un gramme d’observation ». Ici l’imbroglio est accentué par l’intervention du sosie d’un des principaux personnages ; le libertinage est une constante dans le théâtre de Feydeau, symbolisé ici par l’hôtel qui abrite les amours adultères, le bien nommé Minet-Galant ; enfin la satire du monde bourgeois traverse l’œuvre du dramaturge.

Ce monde bourgeois, Lilo Baur le transpose dans les années 1960 dans un cadre coloré et meublé à la Douglas Sirk. Sauf qu’on est loin de l’univers du cinéaste, champion du mélo (au meilleur sens du terme). Là, c’est plutôt le méli-mélo qui prédomine. On est au cœur d’un chalet, dont une grande baie ouvre sur un paysage enneigé. Les sports d’hiver ne sont encore réservés qu’à une certaine classe sociale.

Bretelles

Assureur de profession, Victor-Emmanuel Chandebise y appartient, qui vient passer les fêtes de fin d’année sans négliger son « business ». Question affaire, personnelle cette fois, c’est une paire de bretelles qui met la « puce à l’oreille » de son épouse, Raymonde. L’accessoire vestimentaire est arrivé par courrier avec l’indication du « Minet-Galant ».

Mme Chandebise n’a pas l’esprit tolérant aussi élastique que les bretelles. Elle persuade son amie Lucienne de rédiger une lettre, anonyme autant qu’enflammée, pour piéger le soupçonné mari volage en lui donnant rendez-vous dans le fameux hôtel. Mais, la lettre tombe dans les mains du mari de Lucienne, Carlos Homénidès de Histangua, un sanguin, celui-là, qui reconnaît l’écriture… Le voilà au parfum!

C’est le début des quiproquos. Et pour ajouter à la confusion, il se trouve que Poche, le valet du « Minet-Galant » est le portrait craché de Victor-Emmanuel Chantebise ! Le burlesque frise l’absurde. Malentendus, rebondissements s’enchaînent dans un festival de répliques et de déplacements acrobatiques parfois, sous le regard interloqué de skieurs, à travers la baie vitrée _ une fameuse trouvaille que ces scènes !

Voyelles sans consonnes

La musique y participe, jusque dans les changements de décor en direct. Du twist au mambo d’orchestre de casino, toute une bande son « spécial sixties » accompagne la pièce, avec les interventions insolites d’un coucou ou d’un chariot bar (souvenir de jeunesse de Lilo Baur), qui déclenche une mélodie rythmée quand on l’ouvre. Ou encore, de la voix improbable de M. Plumard au téléphone. Le gardien du chalet est ainsi interrogé par Etienne, le majordome, qui n’a pas plus de chance à placer ses patins qu’à faire confondre sa soubrette d’épouse.

Car, comme le fera plus tard Jean Renoir (avec le comique en moins) avec « La Règle du Jeu », il y a, parallèlement aux maîtres, un embrouillamini chez les valets. Camille, le neveu Chandebise, a certes un défaut de prononciation qui l’empêche de prononcer les consonnes, il n’en joue pas moins le joli cœur auprès d’Antoinette. La servante le lui rend bien.

La distribution est épatante, qui mène l’intrigue avec un entrain et une drôlerie communicatifs. Serge Bagdassarian assure avec talent le double rôle contrasté de Victor Emmanuel Chandebise et de Poche(tron). Anna Cervinka (Raymonde) et Pauline Clément (Lucienne) forment un duo d’amies qui s’émoustillent comme des adolescentes à l’idée de la lettre friponne. Clément Hervieu-Léger est étonnant dans ses interventions toutes en voyelles. Et dans le style accent sud-américain, Jérémy Lopez, incarne un Carlos Homédinès de Histingua, comme son nom l’indique !

Dans ce monde délirant, Alexandre Pavloff en Docteur Finache a bien du mal à poser un diagnostic sérieux au risque de finir en pantalonnade… Clotilde de Bayser, et Christian Ganon (Olympe et Augustin Ferraillon, les propriétaires du Minet-Galant) ; Sébastien Pouderoux (Romain Tournel), le pseudo amant ; Dominique Parent (Etienne) Claire de la Rüe du Can (Antoinette) et Birane Bay (Rugby), tous contribuent au succès d’une interprétation fil-de-fériste.

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Représentations données au théâtre de Caen, du vendredi 2 au mercredi 7 février 2024 (sauf lundi 5).

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