Des applaudissements à tout rompre, une ovation debout. Le public du théâtre de Caen a salué chaleureusement le magnifique concert donné par collectif « Les Dissonances » et son fondateur et animateur, le violoniste David Grimal. Cet accueil exprimait une reconnaissance teintée de regret, sachant que ce rendez-vous était le dernier. L’année 2024 marque les vingt ans d’une formation atypique, mais son modèle, mis à mal par les contraintes financières, oblige à baisser le rideau à la fin de l’année. L’orchestre ne reviendra pas à Caen, où il aura laissé de beaux et grands souvenirs. Avec les musiques de Béla Bartók et de Serge Prokofiev pour cette ultime rencontre.
Quatre-vingt interprètes sur scène autour de David Grimal, avec une forte densité de premiers prix de conservatoire et autres distinctions. Pendant vingt ans, le violoniste a su attirer dans son projet les meilleurs, confirmés ou jeunes talents, issus de grands orchestres ou de formations de chambre renommés. Et de leur proposer des programmes symphoniques d’ampleur. On a déjà eu l’occasion de le dire, l’originalité des « Dissonances » est de jouer sans chef d’orchestre. Ce fonctionnement horizontal implique confiance et écoute mutuelle.
Une nouvelle fois, on a pu mesurer la qualité de cet engagement au cours de ce concert ouvert par le Concerto pour violon n°2 de Béla Bartók. Achevée en 1938 l’œuvre d’une grande maîtrise entraîne vers les années troublées d’Europe centrale. Elles inciteront le compositeur à quitter la Hongrie pour s’exiler aux États-Unis. La délicatesse des accords de harpe et des pizzicati des cordes ne trompent pas longtemps, quand jaillit le son du violon de David Grimal. Sur fond tsigane, l’instrument exprime plainte nostalgique.
Il en sera ainsi du dialogue entre l’orchestre et le soliste, où chaque pupitre est sollicité dans des combinaisons de sonorités et une large palette de percussions. S’il ne dirige pas en propre, David Grimal ne manque pas de se tourner de temps à autre vers les musiciens ou quand il ne joue pas, de marquer une impulsion d’un geste de son archet.
La vitalité du troisième mouvement a quelque chose d’électrique, qui se propage dans tout l’orchestre. Le soliste en est le moteur virtuose et expressif, qu’il exprime ensuite dans un bis époustouflant. Du Bartók également dans une variation qui évoque les prouesses qu’exigent les partitions d’un Paganini. Du grand art.
Pour la deuxième partie, « Les Dissonances » ont interprété les suites orchestrales (Opus 64 bis et 64 ter) de « Roméo et Juliette » de Serge Prokofiev. Sa musique de ballet est célébrissime, marquée par une rythmique rigoureuse et des sonorités dissonantes. Autant de caractéristiques qui correspondent à la carte d’identité de l’orchestre dans une interprétation exemplaire.
La création du ballet du ballet n’a pas été simple. La musique écrite par Prokofiev a été jugée impossible à danser, à cause des ruptures de tempos et la complexité de l’orchestration. Le compositeur n’en a pas démordu mais a voulu faire vivre son œuvre, d’où ses Suites orchestrales et aussi une transcription pour piano. Le ballet sera complétement créé en 1946, au Bolchoï. Un triomphe, qui ne se démentira plus, tant l’œuvre est devenu populaire.
On ne se lasse pas de ses pages puissantes et délicates. Leur enchaînement tient en haleine devant la progression d’un drame pourtant annoncé : « Juliette enfant », la scène des « Masque », « Roméo sur le tombeau de Juliette »… Il y a bien sûr la fameuse « Danse des Chevaliers », autrement dit l’affrontement des Montaigu et des Capucet. L’ampleur musicale de ce « tube », s a dramaturgie profonde méritait bien un bis. David Grimal avait bien prévu ce feu d’artifice, panache avant cette autre fin annoncée, celle de la belle aventure des « Dissonances ».
« J’ai pourtant tout essayé », a déclaré le violoniste, après avoir lancé comme une boutade à l’amer si quelqu’un dans la salle connaissait un millionnaire ou avait des accointances avec le Président Macron ! On restera sur cette autre image, celle des musiciens se congratulant au terme de cette soirée toute d’émotion.
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Concert donné le dimanche 11 février 2024, au théâtre de Caen.
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