L’Orchestre national d’Ukraine, double hymne

Soirée exceptionnelle au théâtre de Caen avec la venue de l’Orchestre de l’Opéra national d’Ukraine. La formation musicale répondait à l’invitation du Mémorial de Caen, dont le directeur, Kléber Ahroul, a voulu marquer ainsi un « soutien indéfectible au peuple ukrainien dans son combat pour la liberté ». Dirigé par Mykola Diadiura, l’orchestre a reçu dans une salle pleine un accueil aussi chaleureux que prolongé. Il saluait le courage de ces musiciens, pour qui le passage à Caen aura été une courte période de répit, au même moment où Volodymyr Zelensky, était reçu à l’Elysée. Il a même été envisagé que le président ukrainien fasse un détour à Caen, ce qui aurait entraîné un renforcement autre de sécurité. L’idée a été vite abandonnée.

Que peut-il se passer dans la tête d’un musicien, sachant qu’il devra à son retour en Ukraine regagner son unité et retrouver son fusil ? Oublier un peu, sans doute, et donner le meilleur de son jeu. Quelques heures avant le concert, la cérémonie du lever du drapeau jaune et bleu sur l’esplanade du Mémorial avait été troublée par des alertes reçues sur téléphones portables. La guerre restait malgré tout présente. Ils ne sont pas tous mobilisés sur le front, mais chaque membre de l’orchestre a un lien douloureux avec ce conflit provoqué par l’agression russe. Au sein même de la formation, plusieurs pertes sont déplorées.

On ne s’étonne pas de la puissance d’interprétation de l’hymne ukrainien, donné en ouverture (« Chtche ne umerla Oukraïna/ L’Ukraine n’est pas morte »). Soixante et un instrumentistes sur scène, le théâtre de Caen a certes déjà reçu un tel effectif, voire plus. Mais, il y a avec l’Orchestre national d’Ukraine un volume de sonorités éclatantes porté par la direction animée et enthousiaste de Mykola Diadiura.

Le programme y contribue avec l’ouverture de « Taras Bulba » de Mykola Lyssenko (1842-1912). Le compositeur est un héros national, au même titre que Smetana l’est pour la Tchéquie ou Sibellius, en Finlande. Toute sa vie, il a défendu une identité culturelle ukrainienne. Comme Bartok l’a fait en Hongrie, Lyssenko s’est intéressé à la musique traditionnelle et s’est attaché à faire valoir la langue de son pays, y compris dans son œuvre lyrique la plus célèbre, « Taras Bulba ».

L’orchestre déploie son dynamisme spectaculaire dans une autre ouverture, celle de « Carmen », tube de notre Bizet national. Entretemps, les pupitres des cordes ont été mis en valeur avec la « Mélodie en la mineur » d’un autre compositeur ukrainien au programme, Myroslaw Skoryk. L’œuvre fait partie des grands succès de ce musicien prolifique, décédé en 2020, à l’âge de 82 ans. Elle sera bissée en fin de concert. Son thème répété à l’envi a des résonnances de musique de film qu’on pourrait apparenter à celle d’un Philippe Sarde.

La participation du remarquable violoncelliste Marc Coppey ajoute à l’hommage rendu à la musique française avec l’Elégie pour violoncelle et orchestre de Gabriel Fauré. Avec une incursion chez George Gerschwin et son célébrissime « Summertime », tiré de « Porgy and Bess », l’orchestre souligne une nouvelle fois sa fonction opératique. La soprano Tetiana Ganina y met un cœur généreux.

Et de l’Amérique, il est encore question avec la Symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvorak. Son quatrième et dernier mouvement est riche d’images d’une côte se rapprochant et pleine l’espoir pour des migrants. Beaucoup originaires de cette Europe centrale, qui compte l’Ukraine.

Comme un symbole, la 9e Symphonie de Beethoven est le morceau de choix qu’interprète l’Orchestre de l’Opéra national d’Ukraine. Son dernier mouvement a été retenu pour constituer l’hymne de l’Union européenne. Il est repris là avec une ferveur particulière. Les quatre voix solistes, dont celle de l’impressionnant Sergil Kovnir, basse, a le mérite d’entraîner les chanteurs du Chœur universitaire de Caen. La marche était un peu haute pour ces choristes. On sentait Mykola Diadiura à la fois au four et au moulin pour atténuer quelques défaillances dans l’exécution de cette œuvre magnifique et exigeante.

D’un hymne à l’autre, c’est tout un message d’appel à la solidarité qu’a envoyé ce concert. Des bouquets aux couleurs de l’Ukraine ont scellé symboliquement la réception de ce message. Les sourires de gratitude se savent provisoires. Quelques heures plus tard, les inquiétudes et préoccupations renaissent sur le chemin du retour vers Kyiv et la mère patrie. Slava Oukraïni !

Concert donné le jeudi 10 octobre 2024, au théâtre de Caen.

 

 

 

 

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