Du conte de Charles Perrault, « Cendrillon », Rossini a tourné le dos en éliminant pour son opéra bouffe « La Cenerentola », cuisiné en trois semaines, la pantoufle de vair, la bonne fée et la citrouille transformée en carrosse. Bref, les personnages et accessoires dont se régalera plus tard Walt Disney dans son dessin animé célèbre. Pour l’Opéra de Lorraine, Fabrice Murgia a apporté son grain de scène en transposant l’action dans un univers « halloweenien », truffé de références cinématographiques. Choix validé par le public du théâtre de Caen tout autant séduit par la qualité des interprètes, en particulier la contralto Beth Taylor (Angelina-Cendrillon) et le ténor Dave Monaco (le Prince Ramiro).
L’ouverture allègre et onduleuse ponctuée avec force cuivres et timbales met en évidence les qualités de l’orchestre placé sous la conduite impeccable de Giulio Cilona. Le rideau se lève sur un décor sorti de Las Vegas. « Make opera great again » affiche la casquette de Don Magnifico _ qui supplée dans l’œuvre de Rossini à la belle-mère acariâtre de Perrault. Moustaches tombantes, Gyula Nagy, donne au père des deux chipies, Clorinda et Thisbé, l’allure d’un catcheur trumpiste.
Les deux sœurs (Héloïse Poulet et Alix Le Saux) ne déparent pas dans cette ambiance kitsch à néons et selfies. On les verrait bien concourir à l’élection d’une Miss Rodéo. C’est plutôt au bal que Clarinda et Thisbé espèrent bien toucher le gros lot en la personne du prince Ramiro. Quelle qu’en soit l’élue, leur paternel y voit le moyen de renflouer les caisses de son hôtel. C’est sans compter sur Angélina, la demi-sœur, « punkette » pas si docile.
Il faut la voir, comme sortie de l’album de la famille Addams, maquillage noir et tignasse glauque surmontée de deux macarons, telles les oreilles de Minnie Mouse. Pas très ordonnée la miss, plus attirée le « gore » que par le balai brosse. Tour de passe-passe, dont le théâtre et l’opéra ont le secret, de Molière à Mozart, le prince prend la place de son valet, Dandini. Pour mieux observer la maisonnée Magnifico.
« C’est un nœud inextricable ! » (« Questo è un nodo avviluppato »), finissent par s’exclamer les six protagonistes au bout de moult péripéties. N’en est pas moindre la métamorphose de Cendrillon par l’habile tireur de ficelles qu’est Alidoro, le précepteur du prince. Déclinée en canon, la stupéfaction est accentuée par l’effet haché des voix, auquel répondent les pizzicati des cordes de l’orchestre.
Tout va s’éclairer enfin et s’orienter vers une « happy end » faite de pardons et de réconciliations. Mais avant d’y arriver, la mise en scène de Fabrice Murgia ne boude pas son plaisir à porter la bouffonnerie dans un univers à la Tim Burton, convoquant masques, costumes et accessoires de la panoplie du fantastique et de l’horreur : squelettes, bocaux de dissection, tronçonneuse (!), poulpe géant… Clones des Blues Brothers, avec leurs costumes et lunettes noirs, les membres du chœur sont épatants de jeu et de répliques chantées.
Et drôles quand, à l’instar du capitaine Haddock devant la Castafiore, ils grimacent lorsque Dave Monaco pousse haut sa voix dans l’air « Pegno adorato e caro ». Ce qui est quand même une injustice pour le ténor, dont l’ampleur et la souplesse vocales collent parfaitement à son rôle. Beth Taylor ravit par les couleurs de son timbre et démontre combien le répertoire rossinien lui convient.
Dans les voix de basses, Sam Carl (Alidoro) emporte le tiercé devant Alessio Arduini (Dandini) et Guyla Nagy (Magnifico). Héloïse Poulet, soprano et la mezzo Alice Le Saux incarnent impeccablement les deux pestes de Clarinda et Thisbé, tant dans le jeu d’actrices que chanteuses. Au demeurant, toute la troupe fait preuve de qualité de comédiens. Un mot sur l’apport de la vidéo, dont on finit par redouter l’abus. La présence d’un couple de cadreurs sur scène se glisse dans l’action. La succession d’images sur un écran-hublot, prises en direct ou extraites de films ne pousse pas à la distraction. Au contraire.
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« La Cenerentola » (Cendrillon) de Gioacchino Rossini par l’Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Lorraine, au théâtre de Caen (coproducteur), vendredi 10, dimanche 12 et mardi 14 janvier 2025.
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