« Le Procès de Jeanne », Judith d’Arc

Jeanne d’Arc, condamnée au bûcher, en 1431, à l’âge de 19 ans, reste une énigme de l’Histoire. Nombre de poètes, exégètes, universitaires continuent de se pencher sur la destinée de la petite bergère de Domrémy sans vraiment en percer le mystère, sauf à le qualifier de divin. Tiré des minutes du procès de la « Pucelle », le spectacle Yves Beaunesne offre à Judith Chemla une occasion de déployer les facettes de son grand talent. Ce rôle, au demeurant, elle le voulait et comme interprète et comme coconceptrice. Une réussite remarquable.

 

 

La bataille d’Azincourt, échec humiliant pour la chevalerie française, aboutit au traité de Troyes (1420), qui a bien failli consacrer l’union de la France et de l’Angleterre. Du moins, Charles VI avait accepté qu’à sa mort la France entrerait dans l’héritage anglais et ce, au détriment de son fils Charles de Ponthieu.

Le décès soudain des deux souverains, français et anglais, en 1422, entraîne une guerre de succession. C’est encore un pays déchiré, entre d’un côté, les Anglais qui, soutenus par les Bourguignons, revendiquent la terre de France, et, de l’autre, Charles de Ponthieu reconnu comme dauphin de France par les Armagnacs.

Celui-ci repart à la conquête des villes et territoires occupés par les Anglais. Avec le concours inattendu de Jeanne, partie de sa Lorraine natale à Chinon, rejoindre le souverain. Elle n’a que seize ans et une détermination farouche qu’elle tient de révélations.

Elles sont au cœur de son procès ces révélations. Car si la jeune femme gagne en popularité auprès des soldats, son tempérament peu soucieux de la diplomatie lui vaut des inimitiés dans l’entourage de Charles qu’elle a pourtant mené au sacre, à Reims, en juillet 1429.

Jeanne d’Arc se retrouve isolée. Victime de tractations, elle est faite prisonnière à Compiègne et finalement vendue aux Anglais par les Bourguignons. D’où son procès à Rouen, alors sous gouvernance anglaise. Mais celui-ci est conduit par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, dont dépend Compiègne.

Il est assisté de théologiens et juristes aux titres et qualifications impressionnantes, liés pour la plusieurs à l’Université de Paris, plutôt favorable, elle, aux Anglais. Un procès en sorcellerie ne lui pose aucun problème.

Évoluant sur un plateau sombre, silhouette androgyne, Judith Chemla est cette Jeanne, derrière laquelle est placé un sextuor de musiciens _ Mathieu Ben Hassen, percussions ; Emma Gergety, violoncelle ; Robinson Julien-Laferrière, trombone ; Étienne Manchon, piano ; Marie Salvat, violon et alto ; Hippolyte De Villèle, cor.

Tous chantent aussi. Joignant leurs voix au timbre claire et sensible de la comédienne. Ces intermèdes musicaux, sacrés ou profanes composés par Camille Rocailleux s’inscrivent intelligemment dans la montée dramatique du procès.

Un grand octogone surplombe la scène. Il écrase le personnage de Jeanne, confrontée à ses accusateurs qui apparaissent en vidéo dans ce cadre. Leurs vêtements chargés contrastent avec la tenue dépouillée de la Pucelle, dont le caractère masculin suscite les reproches des ecclésiastiques.

Jacques Bonnafé, dans le rôle de l’évêque Cauchon et Jean-Claude Drouot dans celui Jean Beaupère, chanoine de Rouen en assurent la tête de distribution. Des gros plans des membres de cet assemblée versent dans des grimaces cauchemardesques, à l’image de certains statuaires gothiques.

Les minutes du procès sont une source d’étonnement, par leur conservation déjà, et surtout par ce qu’elles révèlent d’une jeune paysanne réputée illettrée. La voix de Judith Chemla, aux intonations à la fois fragiles et déterminées, traduit un sens de la répartie, un aplomb face aux juges. Les échanges entre scène et vidéo sont remarquablement conduits.

Mais c’est un combat inégal que mène Jeanne. Son refus de révéler le contenu de ses visions célestes, qu’elle ne réserve qu’à son roi lui sera retourné comme une preuve de maléfice, de sorcellerie. Si un temps, elle échappe à la mort, en acceptant de reprendre des vêtements féminins, elle y renonce de retour en prison. On le doit à une manœuvre de ses geôliers anglais. Et ce revirement est fatal à Jeanne.

C’est au cri de « Jésus », que Judith Chemla donne fin à son personnage, ombre rouge feu enveloppées d’épais volutes de fumée. Un noir sidérant tombe. L’héroïne subsiste dans les imaginaires. Par-delà sa nature religieuse, elle témoigne des ravages des procès iniques menacés de tous temps par les dérives totalitaires.

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Spectacle donné au Théâtre de Caen, mercredi 19 et jeudi 20 mars 2025

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