« Osez Haydn ! » Le théâtre de Caen a offert trois jours d’immersion dans l’œuvre du compositeur autrichien (1732-1809). Ce week-end prolongé était l’aboutissement d’une aventure musicale remarquable engagée il y a près de neuf ans : la Route 68. Autrement dit l’audition des 68 quatuors de Haydn, l’inventeur du genre. Le violoniste Julien Chauvin a conduit cette aventure à la tête du Quatuor Cambini-Paris. Le musicien a aussi la casquette de chef de l’orchestre Le Concert de la Loge. Les deux formations ont été de la fête, agrémentée par des rencontres, de dégustations culinaires et la participation de jeunes solistes d’exception, la chanteuse Mélissa Petit, le claveciniste franco-américain Justin Taylor et le violoncelliste Victor Julien-Laferrière. Retour sur cet événement
Mozart et Beethoven. Dans Haydn, il y a ADN. Mozart qui voyait en « Papa Haydn » son père spirituel et dans une moindre mesure, Beethoven, dont il fut aussi l’élève, sont redevables au compositeur. On osera cette comparaison à connotation biologique pour situer la place importante que représente Haydn dans l’histoire de la musique. La notoriété de Mozart et de Beethoven a dépassé celle du maître. La sienne était considérable à son époque. Ces trois jours visaient à mettre à la connaissance du public une part d’œuvres significatives. Une belle occasion, pas complètement saisie. On mesure encore une certaine frilosité qui n’aurait pas été de mise avec les noms de Mozart ou de Beethoven.
Piano forte d’époque. Ce fut une des vedettes de ces journées : un piano forte loué pour la circonstance, une pièce magnifique datant de 1780. Il se dit que l’instrument a pu appartenir à Marie-Antoinette. Et on peut imaginer que Joseph Haydn lui-même et Mozart ont joué dessus. C’était assez pour comprendre toute l’excitation de Justin Taylor à pouvoir poser ses doigts sur le clavier.
Le jeune artiste ne s’en est pas privé faisant résonner le son particulier de ce chaînon entre le clavecin et le piano. Sa longue silhouette donnait à l’instrument une forme miniature. Il est vrai que le clavier est réduit à cinq octaves. Bien assez pour faire de la musique, a affirmé d’emblée Justin Taylor. Ses interprétations de sonates de Haydn en ont offert une démonstration magistrale de finesse. Elles alternaient avec des pièces de Mozart, dont la célèbre Sonata en do KV 545, sur laquelle s’exercent bien des apprentis pianistes.
Impressions magyares. Le premier concert du soir s’intitulait « Échappée viennoise » avec un trio de choix. Julien Chauvin, au violon, était entouré, au piano forte, de Justin Taylor, nommé récemment aux Victoires de la musique classique et de Victor Julien-Laferrière, lauréat du prix prestigieux Élisabeth de Belgique, la première année où il a été ouvert au violoncelle.
Là, étaient mis en parallèle le jeune Beethoven et son premier Trio et le Haydn de la maturité avec son 43e opus du genre. Sans en faire un match, cette double exécution fut passionnante à suivre. Evidemment, on garde en mémoire le rondo final de l’œuvre de Haydn et ses sonorités magyares virtuoses. Le piano forte lui-même semblait s’être métamorphosé en cymbalum ! L’accueil enthousiaste de ce concert a entraîné un bis de ce passage, interprété avec autant de brio.
Haydn symphonique et lyrique. C’était le moment phare du week-end, le concert du samedi soir, réunissant l’orchestre du Concert de la Loge et les trois solistes invités. Haydn est certes l’inventeur du quatuor, mais il est aussi considéré comme le « père de la symphonie ». Il en a écrit 104 ! Celle qui porte le numéro 88 est un condensé de son art avec des effets de surprise dont il est coutumier.
Julien Chauvin et son violon ont offert un feuilleté musical. Des airs tirés d’opéras ont été glissés entre des mouvements de la symphonie. Dans des extraits d’ « Armida », de « L’anima del filosofo », d’ « Il mondo della luna », Mélissa Petit a brillé par une expressivité convaincante tant dans la tragédie que ma comédie. Si dans certains aigus la voix est un peu verte, son agilité vocale promet de beaux jours. Et on s »’amuse encore de sa citation espiègle de la Reine de la Nuit de « La Flûte enchantée » de Mozart. En tout cas, l’œuvre lyrique de Haydn mériterait bien une attention nouvelle de la part des maisons d’opéra.
Le concerto pour violoncelle n°1 en ut majeur de Haydn méritait d’être à l’honneur. C’est une pièce majeure du répertoire. Par l’ampleur de son jeu, subtil et sans esbroufe, Victor Julien-Laferrière a subjugué le public. L’accord avec l’orchestre était total. Le final, quasi hypnotique, par sa construction virtuose a tenu en haleine l’auditoire. Au dernier coup d’archet, passé le choc de l’émotion, un tonnerre d’applaudissements et d’exclamations a envahi la salle.
A la Gloriette. Le dernier concert, dimanche, concluait d’une certaine manière la Route 68. « Les Sept dernières paroles du Christ en croix » sont une œuvre pour quatuor. Mais, elle reste à part, en ce qu’elle est une pièce de musique sacrée. Haydn a répondu à une commande venue d’Espagne pour l’office du Vendredi Saint. Elle a été créée en 1786 à l’église Santa Cueva de Cadix.
L’église Notre Dame de la Gloriette a offert un cadre idéal pour cette œuvre méditative interprétée sur instruments anciens. Julien Chauvin a réuni là trois solistes du Concert de la Loge, Karine Crocquenoy, violon, membre par ailleurs du Quatuor Cambini-Paris, Maria Mosconi, alto, et Thomas Duran, violoncelle.
Quatre interprètes inspirés dans cette description de la Passion du Christ. Elle a suscité une écoute concentrée, jusqu’au final troublant du dernier soupir suivi du tremblement de terre décrit par l’Évangile. Du grand art.
Coups de rabot pour un archet. L’archet est un accessoire essentiel dans la qualité d’une interprétation. Découvrir le travail de l’archetier était une des propositions du samedi. Jean-Yves Tanguy est un luthier réputé à Caen. La qualité de ses archets est connue dans les orchestres et parmi les musiciens. Il avait installé un atelier dans le théâtre et le public était invité à donner quelques coups de rabot sur la pièce de bois qui deviendra l’archet qu’utilisera Julien Chauvin pour son prochain concert au théâtre de Caen, le jeudi 22 mai prochain. Parallèlement, Jean-Yves Tanguy, expliquait, pièces de collection à l’appui, la conception d’un archet, l’importance de son poids, de sa forme, de la qualité du crin.
Et aussi. Le jeune public n’a pas été oublié. On sait Haydn facétieux. Passages musicaux à l’appui annoncés et commentés par Clément Lebrun, musicologue, les musiciens du Concert de la Loge ont fait rire et sourire avec les trouvailles de Joseph Haydn.
Côté jeunes, la Maîtrise et Pré-Maîtrise de Caen ont été associés à l’événement. L’audition habituelle du samedi a été consacrée à la Messe brève de Saint Jean de Dieu, sous la direction de Camille Bourrouillou.
Enfin, pour rester dans l’ambiance viennoise, voire austro-hongroise, le chef Pierre Lefebvre, gagnant du concours MasterChef, avait concocté des amuse-bouche, arrosés d’un verre de Zahel ; des pâtisseries accompagnées de chocolat. Enfin, le Tokay hongrois, que les connaisseurs rapprochent du quarts-de-chaume du Layon, a conclu, accompagné d’une mise en bouche, le concert du samedi soir.
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« Osez Haydn », du vendredi 21 au dimanche 22 mars 2025, au théâtre de Caen et à Notre Dame de la Gloriette.
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