Il fallait bien que ces trois-là se rencontrent un jour. Le violoncelliste Victor Julien- Laferrière, Mi-Sa Yang au violon et le pianiste Adam Laloum forment, en dépit de leur jeunesse, une formation déjà très aguerrie, le trio Les Esprits. Révélés au festival de Pâques, dès 2007 pour le premier, les années suivantes pour les deux autres, ils n’ont pas tardé à mettre en commun leurs talents et leur enthousiasme, scellés par l’amitié.
Leur premier enregistrement, consacré à Beethoven (dont un des trios, « Geister » a donné dans sa traduction le nom de la formation) et à Schumann est sorti au début de l’année chez Mirare. Il a reçu un accueil chaleureux. Les trois musiciens font figure d’aînés auprès des jeunes pousses de l’Août musical, la résidence estivale à la fois de la fondation Singer-Polignac et du festival de Pâques, sur lesquels veille Yves Petit de Voize.
Ils n’en restent pas moins fidèles à ce rendez-vous deauvillais. Dvorak et son trio pour piano et cordes n°4 Dumky étaient au programme de leur première soirée de concert. D’emblée, la complicité entre les trois interprètes entraîne une sympathie de l’auditeur emporté par la fraîcheur et la tonicité de leurs jeux. Il y a celui ondoyant de Mi-Sa Yang, qui vit la musique jusqu’au bout de ses escarpins ; celui contrasté d’Adam Laloum, buste concentré sur son clavier mais des doigts à la grâce de funambule ; celui enfin de Julien Victor-Laferrière qui associe flegme et assurance.
Antonin Dvorak s’est inspiré des chants populaires ukrainiens pour le dernier de ses trios, créé en 1891. La félicité le dispute aux larmes dans cette œuvre aux accents « schubertiens » par ses phrases mélancoliques soudainement emportées par des cadences percutantes. Les Esprits en font une lecture enthousiasmante, qu’on aimerait voir gravée un jour.
Le trio s’est fait quatuor avec le concours de l’altiste Adrien La Marca, toujours prêt à rejoindre Les Esprits. C’était cette fois pour Quatuor n°1 de Gabriel Fauré. Là encore, les musiciens se sont montrés à la hauteur d’une œuvre captivante par la beauté subtile de ses sonorités et de ses rythmes. Ces pages ont été composées à Sainte-Adresse, promontoire au dessus du Havre, visible de Deauville.
Est-ce à la fois le lieu et la date de son écriture (1878) qui jouent ? Mais ce quatuor a une force évocatrice très « impressionniste », quelque chose de vaporeux qui renvoie aux paysages de l’estuaire de la Seine, en même temps qu’un sentiment de plénitude aérienne.
Les trois musiciens prolongent leur séjour pour un deuxième concert, non plus en trio mais dans deux formations différentes. Où l’on revoit Adam Laloum pour une lecture partagée avec l’altiste Lise Berthaud, fidèle parmi les fidèles des rendez-vous deauvillais, de la dernière œuvre de Chostakovitch, la sonate opus 147. Les deux interprètes (ils ont déjà enregistré ensemble) brillent par leur sens de la citation, dont cette composition testamentaire est riche.
Lise Berthaud rejoint ensuite Mi-Sa Yang et Victor Julien-Laferrière pour former un sextuor avec le violoniste Perceval Gilles, nouveau venu à l’Août musical, Adrien Boisseau à l’alto, et Bruno Philippe à la contrebasse. Programme russe, là encore, avec « Les souvenirs de Florence » de Tchaïkovski. La coordination parfaite entre les six interprètes fait plaisir à voir et donne à entendre une œuvre jubilatoire à travers laquelle Mi-Sa Yang manifeste des qualités remarquables de leader.
Et aussi
Le festival de Pâques et l’Août musical ont lancé une collection de disques consacrée aux solistes et ensemble se produisant au cours de ces deux manifestations annuelles. Les premières sorties sont prévues au début 2015 sous le label B-records. Deux enregistrements ont eu lieu en public au cours de ce 13e Août musical. Le premier est celui du Sextuor pour piano et cordes opus 110 du précoce Mendelssohn _ il avait 15 ans quand il a écrit cette pièce déjà pleine de maturité _. Avec Ismaël Margain, piano ; Amaury Coeytaux, violon ; Adrien La Marca et Léa Hennino (nouvelle à Deauville), altos ; Christian-Pierre La Marca, violoncelle ; Yann Dubost, contrebasse. Le deuxième enregistrement est consacré à Leos Janacek, avec le concertino pour piano et instruments, « féérie naturaliste endiablée », selon l’expression d’Yves Petit de Voize. Jonas Vitaud, au piano, a conduit l’interprétation de cette œuvre exécutée par Omer Bouchez et Elise Liu, violons ; Yung Hsin, alto ; Amaury Viduvier, clarinette ; Rafael Angster, basson ; Maxime Tomba, cor.
Le 19 août 2014.
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