Les Cambini prennent de l’étoffe

Le Quatuor Cambini-Paris a repris sa route 68, au théâtre de Caen. Il en est à sa dixième étape et sa quatrième saison à interpréter l’intégrale des quatuors de Joseph Haydn (1732-1809). On approche de la mi-parcours. A chaque concert, un thème, qui aide à mettre en perspective l’époque du compositeur. Cette fois, il est question de vêtements de scène. Créateur de nombreux costumes pour le spectacle, Alain Blanchot a expliqué son travail, fruit de nombreuses recherches. Une soirée cousue main.

Au moment du salut, à l’issue du concert  (de gauche à droite) : Clément Lebrun,Karine Crocquenoy, Pierre-Eric Nimylowycz, Julien Chauvin, Alain Blanchot, Atsushi Sakaï.

Cheveu choucas électrique, petites lunettes, le musicologue Clément Lebrun donne quelques clés sur le déroulement de la soirée, où il sera question de goût, de mode. Les trois œuvres retenues offrent les jalons marquants de la carrière de Haydn, depuis ce qu’on appelait encore un divertimento jusqu’à un opus des dernières années. Entre les deux, une des partitions de l’opus 20 qui marque la création du quatuor en tant que genre musical à part entière.

Les membres du Quatuor Cambini-Paris sont devenus familiers à un public fidèle qui ne cesse de drainer de nouveaux adeptes. Julien Chauvin, premier violon, Karine Crocquenoy, deuxième violon, Pierre-Eric Nimylowycz et Atsushi Sakaï, violoncelle entament l’Opus 1 n°4 en sol majeur. Haydn a 25 ans, quand il expérimente cette œuvre entre amis, chez le baron von Fürnberg, qui l’a engagé comme maître de musique.

Engouement

Il faut les imaginer dans l’intimité d’un salon, à prendre plaisir à se répondre d’un instrument à l’autre, notamment entre les deux violons. Les menuets qui constituent deux des cinq mouvements s’y prêtent, le plus laissant esquisser des révérences et donnant l’occasion au premier violon de s’offrir quelques trilles. Clément Lebrun y décèle des « traces baroques », avant de souligner l’extraordinaire engouement suscité par les partitions de Haydn. Elles sont diffusées à travers l’Europe et , à son insu, sans précision de dates pour faire croire qu’il s’agit de nouveautés.

Les quatuors accompagnent toute la carrière de Haydn. A partir de l’opus 20, le compositeur inscrit les principes fondateurs du genre. Le n°5 qu’interprètent les Cambini s’affirme d’entrée plus élaboré. Délicatesse et gravité oscillent au fil des mouvements, qui passent par un somptueux adagio et au final une fugue étonnante, aux échos empruntés à Handel, Bach ou repris par Mozart et son Requiem. Elle avance à pas feutrés, au rythme de quelques mesures qui évoluent d’un archet à l’autre pour s’épanouir dans un forte majestueux.

On progresse ainsi dans le temps, où la mode vestimentaire s’est aussi transformée. Alain Blanchot en est un des observateurs attentifs. Créateur de costumes pour la scène, on lui doit d’enchanter de nombreux spectacles. Le vestiaire de théâtre de Caen en conserve des exemplaires, ainsi de deux pièces réalisées pour « Maître à danser » de Rameau dans une production des Arts Florissants de William Christie.

Faute d’archives sonores jusqu’au début du XXe siècle, le musicien a moins de repères pour un travail d’interprétation. Le costumier a, lui, l’avantage de pouvoir s’appuyer sur des documents visuels : gravures, peintures. A partir d’elles, Alain Blanchot élabore ses dessins, qui doivent aussi intégrer autant que faire se peut, les désirs du metteur en scène. Le choix des tissus intervient après.

Costume et jeu

L’entretien plaisant que mène Clément Lebrun déborde sur les contraintes imposées par les règles sociales. Enfermées dans un carcan de corset, panier, jupons et robes, les femmes de l’aristocratie n’ont pas de liberté de mouvement. Cela change un peu avec Marie-Antoinette, avec le port de chemise moins empesée que la robe. L’idée de naturel apparaît. Mais on est encore bien loin de Coco Chanel !

Les quatre musiciens ont fait dans des circonstances différentes l’expérience de costumes « d’époque », au cinéma ou sur scène. Ils en parlent avec humour. Et pour faire la démonstration que le costume a une influence sur le jeu, Clément Lebrun fait enfiler à Julien Chauvin un lourd manteau de laine. Le violoniste réussit à sortir des notes de son instrument. Mais le son est étouffé par le vêtement. Il est nettement plus à l’aise s’il dégage une épaule.

De fil en aiguille, on en arrive à parler aussi de Rose Bertin, la « styliste » de Marie Antoinette ; de Leonard, le coiffeur de la reine auquel on doit des coiffures à poufs, décors montés sur la tête (ce qui sera repris par les Catherinettes) ; où plus loin, à l’époque du Roi Soleil, les coiffes à étages, dite à la Fontanges, jeune rivale de la Montespan. Elles évoquent les « pains de sucre » des Bigoudènes. Alain Blanchot reprend l’idée à partir de planches de scarabées pour des coiffes-insectes, à découvrir dans « Cendrillon » (1).

Fantasia

Retour à la musique pour le troisième et dernier quatuor de la soirée, le n°5 de la « prestigieuse série » qu’est l’Opus 76. Cette pièce contient une curiosité avec le second mouvement, un adagio qu’Haydn qualifie de « Fantasia ». Or, on la recherche cette fantaisie dans un déroulé lent, voire nostalgique. Il semble plutôt qu’elle réside dans une construction de notes, qui font son étrangeté, de celle qui intriguait Beethoven. On n’en est pas moins séduit. Les deux derniers mouvements confirment ce sentiment avec un menuet vif et piquant, relancé par le violoncelle et un final sautillant, presque monosyllabique. De la belle ouvrage bien étoffée.

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(1) Le 1er février prochain, au théâtre de Caen. « Cendrillon » de Nicolas Isouard (1810). Avec Julien Chauvin à la tête du Concert de la Loge et dans une mise en scène de Marc Paquien.

Concert du mardi 3 décembre 2019, dans les foyers du théâtre de Caen. Prochain concert de la « Route 68 » : « Quintes et sciences », le mercredi 11 mars 2020, avec Jean-Pierre Le Goff, professeur de mathématiques et historien des sciences et des techniques.

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