La salle Beaufils a encore vécu, jeudi, une de ces soirées dont Polyfollia a le secret, en associant deux univers fort différents. Il y a quand même un dénominateur commun entre le ciné-concert singulier de Mikrokosmos et le récital du chœur d’enfants d’Hamilton (Canada) : la voix et ses multiples ressources, c’est l’essence même du festival.
La formule du ciné-concert (partition originale et interprétation en direct pendant une projection) n’est pas vraiment nouvelle. L’orchestre régional de Basse-Normandie s’est en fait une spécialité. Mais avec « Ombres vives », Loïc Pierre, le chef de l’ensemble Mikrokosmos, donne au genre une dimension supplémentaire.
La création ne porte pas seulement sur la musique mais sur un montage d’images, projetées du écran. « Le voleur de Bagdad », film muet de Raoul Walsh (1924), avec Douglas Fairbanks en vedette, constitue le fil rouge d’une succession de séquences où se croisent les icônes féminines du cinéma d’Alfred Hitchcock, de très courts-métrages du père des effets spéciaux, Georges Méliès et de son alter ego et « rival » espagnol, Segundo de Chomon, des extraits de film d’Andréi Tarkovski… Le tout est entrecoupé, toujours à des moments cruciaux façon télé, par des réclames pour un savon, la même visuellement mais, à chaque fois, avec une musique différente.
Pour son projet, Loïc Pierre a fait appel à des compositeurs d’aujourd’hui, à une exception près, Rachmaninov. Cinq d’entre eux ont écrit spécialement pour « Ombres vives ». Sur scène, le dispositif est impressionnant. A chaque pupitre correspond des instruments de percussion, de la crécelle au tambour _ 300 au total _, que manipulent les choristes.
Un vrai travail d’horlogerie, l’image et le son se doivent d’être parfaitement synchrones. Les voix, le bruitage avec ses gags participent d’une fantaisie enchantée à laquelle la majorité des spectateurs/auditeurs adhèrent, en témoigne l’applaudimètre. Comme quoi, la musique contemporaine n’est pas nécessairement austère, complexe, impénétrable et autres qualificatifs dénoncés d’entrée par Jacques Vanherle, le directeur de Polyfollia.
Avec le Hamilton Children’s Choir, qui vient de Toronto, on revient vers une forme plus traditionnelle. Encore que. Il faut voir dans ce chœur l’expression de ce l’on fait de mieux en matière pédagogique. Cela tient à la personnalité exceptionnelle de Zimfira Poloz.
Il y a de l’école russe chez cette directrice originaire du Kazakhstan avec toute sa couvée d’adolescentes aux nattes impeccablement tressées. Mais assurément sans le stress associé à l’image de la professeure roulant des « r ». Cela n’exclut pas une exigence de travail, mais basé sur l’acquisition de la confiance en soi au service du collectif.
Résultat, une heure de bonheur partagé à entendre ces jeunes, à les voir évoluer et bouger sur scène. Là encore du travail d’orfèvre où passent en revue toutes les formes chantées, rythmées, par le seul concours de la voix : jeu d’échos, canon, murmure, halètement, phrase mélodique, scansion de monosyllabes… En apportent des exemples, « Gamelan » de Murray Schafer, basé sur les cinq tons de l’instrument du Bali ou la très belle pièce de Sarah Hopkkins, « Mélodies du temps passé » et ses différentes émissions vocales.
Comme dans la danse ou l’équitation, les filles ont pris le pouvoir dans ce chœur, qui a soulevé l’enthousiasme du public. L’extrême minorité des garçons s’explique sans doute par le problème de la mue. Il faut y voir aussi des raisons psycho-sociales au demeurant largement partagées. La parité n’est pas que dans un sens.
Le 24 octobre 2014.
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