2022 est l’année du 400 e anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. On sait combien l’auteur des « Femmes savantes » a travaillé avec le compositeur Jean-Baptiste Lully. Leur collaboration a donné de fort célèbres comédies-ballets. Mais le duo « JB et JB » a tourné à la fâcherie. Molière s’est tourné vers le jeune Marc-Antoine Charpentier. De ce concours, interrompu par la mort brutale du dramaturge, il demeure de délicieuses partitions. Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances les font revivre au fil d’un concert séduisant de musiques de scène, accueilli au théâtre de Caen.
On ne saurait réduire la musique de Marc-Antoine Charpentier à des œuvres sacrées, aussi magnifiques soient-elles, et encore moins au Te Deum popularisé par le désormais lointain générique de l’Eurovision. Il est vrai que Jean-Baptiste Lully, de neuf ans son aîné, prend un malin plaisir à vouloir le cantonner dans ce registre. Bénéficiant du monopole de la création lyrique au terme d’un privilège de l’Académie royale, l’Italien veille farouchement à faire valoir cette exclusivité.
Son activisme à limiter la musique d’autres dans les comédies-ballets, à réduire le nombre des musiciens, finit par lasser Molière. On est au début des années 1670. Proche de la cinquantaine, le créateur de l’Illustre Théâtre devenu Les Comédiens français, repère le jeune Charpentier alors âgé de 27 ans. Il lui confie le soin d’imaginer des airs sur les intermèdes de ses pièces.
Sébastien Daucé se base sur ce répertoire pour révéler un Charpentier pétri d’humour se lovant avec délice dans la drôlerie de Molière. Le comédien Soufiane Guerraoui _ un des protagonistes de « Cupid and Death », la précédente création de Correspondances _ assure, avec un brin de cabotinage, la présentation du concert. Jusqu’à endosser la silhouette en « S » d’un Polichinelle vieillissant, l’amoureux de Toinette qui se fait alpaguer et rosser par les soldats du guet.
On est là dans le « Malade Imaginaire » (1673), l’ultime véritable collaboration entre Charpentier et Molière, victime d’une attaque fatale à la quatrième représentation. Le compositeur a dû revoir sa partition à trois reprises sous les exigences de Lully. La troisième destinée à une représentation devant Louis XIV ne connut pas, elle, de limites. Mais Molière n’était plus de ce monde pour l’entendre.
Ce qu’on entend avec Correspondances c’est un orchestre convaincant de subtilité. Les flûtes de Lucile Perret et Matthieu Bertaud font merveille avec le basson de Mélanie Flahaut. Sébastien Daucé dirige autant du geste que de la bouche pour coordonner musique et chant. Se succèdent des extraits du « Mariage forcé », du « Sicilien » où des miaulements de vieux matous ont pu, qui sait, inspirer, Rossini pour son duo des chats.
Et, bien sûr, des passages de la comédie-ballet « Le Malade imaginaire ». Son prologue par lequel s’achève le concert, est un hymne glorifiant le Roi-Soleil au travers l’évocation d’amours entre bergères et bergers. Ce genre de panégyrique va soi à l’époque. Difficile à imaginer aujourd’hui, fut-ce à l’égard d’un président que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de monarque !
Mais pour souligner encore la palette talentueuse et malicieuse de Charpentier, Sébastien Daucé fait intervenir « Les Plaisirs de Versailles », mini-opéra destiné aux appartements du roi-soleil. Pour les courtisans, les places étaient convoitées et soigneusement hiérarchisées. Et c’est d’eux aussi dont se moque le compositeur au fil des scènes mettant en rivalité la Musique et la Conversation. On y verrait presque un hommage au Molière des « Précieuses Ridicules ».
Côté voix, parité parfaite, quatre voix de femmes _ Caroline Weynants, Caroline Bardot, Eugénie Lefebvre, Blandine de Sansal _ ; quatre voix d’hommes _Clément Debieuvre, Vojtech Semerad, Étienne Bazola, Maxime Saïu. Dans un beau jeu d’équilibre, une mention supplémentaire à la soprano (haut dessus en langage de musique baroque) Caroline Bardot pour sa qualité de diction. Et, on avoue un faible pour le timbre de la mezzo (bas-dessus) Blandine de Sansal, même si le répertoire jouée ne lui offre pas une place de soliste.
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« Musiques de scène pour Molière » par l’Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé. Concert donné le vendredi 7 janvier 2022, au théâtre de Caen.
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