D’accord, on n’attribuera pas nécessairement le meilleur prix du scénario au librettiste des « Fêtes vénitiennes », Antoine Danchet. Il est vrai qu’apportant un souffle de fraîcheur en cette longue fin de règne d’un Roi Soleil déclinant, cet opéra-ballet a connu un succès tel, qu’André Campra n’a eu de cesse d’y apporter des ajouts (des « entrées »), comme autant de scènes interchangeables mais sans rapport particulier les unes aux autres, si ce n’est le désir de divertir. Et il fallait que son préposé à l’écriture suive.
A des intrigues simples, supplée un talent de plume. Y répond la musique du compositeur méridional. L’œuvre lyrique préfigure le film à sketches. Avec la complicité renouvelée du Canadien Robert Carsen, metteur en scène des « Boréades » et de « Platée » notamment, William Christie a retenu une configuration parmi plusieurs scènes possibles. La réalisation est joyeusement servie par les Arts Florissants et la compagnie de danse du Scapino Ballet de Rotterdam.
Deux soirs de suite, les Arts Flo ont renoué avec le théâtre de Caen et découvert son nouveau plateau et sa nouvelle fosse. Le public n’a pas manqué le rendez-vous, réservant un accueil chaleureux à cette production. Dès le prologue, on est transporté à Venise et sa place Saint-Marc envahie de touristes traînant leurs valises à roulettes.
Un géant de carnaval annonce la couleur, l’incarnat du plaisir, et invite tous ces visiteurs à une fête costumée. La Folie mène la danse libertine et débridée entraînée par des « drag queens » A ce bal « rubis et orgie », Sœur Raison, cornette flanquée de deux assesseurs monacaux, ne peut donner sa bénédiction. Mais qui l’écoute dans ces jeux de l’amour hasardeux ?
Se succèdent trois « entrées ». Basées sur les épreuves des sentiments, avec leurs lots de surprises, pièges, rivalités, déconvenues, elles sont surtout prétexte à séduction musicale avec un festival de percussions. Les solistes passent d’un rôle à l’autre avec un bonheur égal. Leur sens du phrasé pourrait servir d’exemple à bien des apprentis comédiens. Si on a connu un Marc Mauillon en meilleure forme, la palette des voix féminines, Emmanuelle de Negri en tête, est un enchantement.
Le décor de Radu Boruzescu et les costumes raffinés de Petra Reinhardt participent de ces fêtes dans une alternance de place ouverte et d’atmosphère de palais. Le rêve passe. Les visiteurs qui avaient troqué leurs jeans et blousons contre les costumes de carnaval se réveillent sur une place jonchée de détritus, papiers et bouteilles vides. Référence au passage des Pink Floyd, qui ont laissé un souvenir marquant dans la mémoire des éboueurs vénitiens ? Quelle teuf, en tout cas !
Le 9 avril 2015.
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