Un Dandin dindon, oui et non…

Du répertoire de Molière « Georges Dandin ou le mari confondu » est un titre connu. Mais personne, aujourd’hui, ne peut prétendre avoir vu cette pièce dans sa forme originelle de comédie-ballet avec la musique de Lully. C’est le défi fou relevé par Michel Fau, qui signe la mise en scène et tient le rôle-titre de cette farce grinçante. Elle est servie par une distribution de qualité tant dans le jeu des comédiennes et comédiens que dans l’interprétation musicale de l’Ensemble Marguerite Louise. Molière avait ouvert la saison 2021-2022 du théâtre de Caen avec « Le Bourgeois Gentilhomme » de Jérôme Deschamps. Il la clôture, ou presque, de belle façon dans un décor royal et versaillais, baroque à souhait, et des costumes à l’avenant signés Christian Lacroix.

 

Dindon (de la farce) malgré lui, Georges Dandin ? À voir. Notre paysan fortuné mesure vite sa déconvenue. Il se mord les doigts d’avoir épousé la jeune Angélique de Sotenville. Il ne fait pas de doute que ses beaux-parents on vu en lui un bon moyen de renflouer un train de vie à l’arrêt. En échange de quoi, on le rabroue sur ses manières que ne lui assure pas sa particule complémentaire. Et surtout, l’épousée regarde ailleurs, vers un joli cœur plus conforme à son rang.

Bref, Georges Dandin enrage. La bévue du domestique Lubin, messager maladroit, lui confirme l’infidélité de sa femme. Dandin n’a de cesse de la confondre aux yeux des Solenville. Le piège se retournera contre lui, poussé à l’humiliation de demander des excuses à la fautive. Il en est prêt à se jeter à l’eau.

Sur cette trame inspirée d’une fable du Moyen-Âge, Molière construit une comédie amère sur la pression d’une hiérarchie sociale, qui s’accommode de mariages arrangés pour garantir les apparences. Et l’amour dans tout cela ? Angélique a beau jeu de répliquer à Dandin qu’elle ne l’a pas choisi. Mais lui, il y croit à ce mariage. Et ses regrets de n’avoir épousé une paysanne prennent de l’ampleur au fil des mensonges que le jeune aristocrate fait gober à ses parents.

« Rien n’est plus doux que Bacchus et l’amour », chantent au final le quatuor vocal (Caroline Arnaud et Cécile Achille, sopranos ; François-Olivier Jean, ténor ; David Witzcak, baryton). Même s’il y est invité, il n’est pas sûr que Dandin ait le cœur à chanter… sinon à noyer son chagrin. Des échos de  la représentation à Versailles (18 juillet 1668) devant de Louis XIV, Michel Fau retient que les nobles ont moins vu (ou feint de ne pas voir) la charge les visant que les intermèdes de la pastorale dans laquelle ils se sont volontiers identifiés.

Et c’est bien ce contraste, entre le personnage de Dandin et les réjouissances galantes de la musique et du chant, que le comédien et metteur en scène saisit. On regrettera, côté vocal, un phrasé imparfait. Avec sa voix de dessus si caractéristique (avec parfois des intonations à la Guy Bedos), Michel Fau tient le spectacle de bout en bout. De l’assurance de son bon droit, son Dandin  finit par perdre pied. Il  se retrouve tel un pénitent dans la chemise de nuit de l’opprobre.

Autour de lui, Michel Fau réunit une équipe réjouissante. Florent Hu, en Lubin gaffeur dépenaillé et braillard forme avec Nathalie Savary, gaillarde Claudine, un couple de domestiques qui comprend son  intérêt. Dandin s’en trouve d’autant plus isolé. Philippe Girard, dont la qualité de voix est un exemple (rare) dans le théâtre actuel, est irrésistible en Monsieur de Solenville, aux côtés  de « Mamour » (Madame de Solenville), incarnée par Anne-Guersande Ledoux.

La comédienne donne à son personnage de belle-mère une dimension comique avec des répliques et des rires fusant dans des aigus stratosphériques, auxquels ne résisterait pas un service de cristal ! Alka Balbir campe une Angélique qui n’est pas sans évoquer la jeune Isabelle Adjani de la Comédie Française. Elle développe un art du mensonge, oscillant entre l’offense et le chantage avec un bel aplomb. À la place de Clitandre (Armel Cazedepats parfait en gentilhomme opportuniste et plutôt falot), on se méfierait !

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« George Dandin ou le mari confondu », au théâtre de Caen, mardi 14, mercredi 15, jeudi 16 et vendredi 17 juin 2022, au théâtre de Caen.

À noter que la soprano Juliette Perret remplace Cécile Achille dans les représentations de 16 et 17 juin.

 

 

 

 

 

 

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