La « Turangalîla-Symphonie » d’Olivier Messiaen compte parmi les œuvres majeures de la musique du XXe Siècle. Elle est certes connue des mélomanes, mais ses enregistrements ne sont pas si fréquents, pas plus que ses interprétations en direct. L’effectif qu’elle requiert l’explique principalement : quelques cent musiciens et tout un bataillon d’instruments de percussion. Le théâtre de Caen a offert ce privilège à son public, avec le concours de l’Orchestre national de France, conduit par Cristian Macelaru, et de deux solistes d’exception, Cynthia Millar et Cédric Tiberghien. 1 h 20 de musique totale. Époustouflant.
Lorsque qu’un mécène vous donne carte blanche totale pour une écrire une œuvre, c’est un rêve qui se réalise pour un compositeur. C’est ce qui est arrivé à Olivier Messiaen, quand au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le chef d’orchestre Serge Koussevitzky, lui passa une commande, sans restriction de longueur, du nombre d’instruments, de genre musical.
Tout le contraire de ce qu’avait vécu Messiaen en captivité avec son « Quatuor pour la fin du temps ». C’est avec les moyens du bord _ un violoncelle, une clarinette, un violon et un piano _ qu’il avait composé cette pièce mythique. Elle lui avait permis d’explorer des associations sonores et de s’appuyer sur des rythmiques nouvelles pour des oreilles occidentales, inspirées des « talas » hindous.
La commande de Serge Koussevitzky lui donne l’occasion d’approfondir et d’élargir son langage. De l’été 1946 à l’automne 1948, Messiaen y travaille. Lorsque la « Turangalîla-Symphonie » est prête, la mort frappe le commanditaire. C’est Leonard Bernstein qui dirigera, à sa place, le Boston Symphony Orchestra, auquel Koussevitzky destinait l’œuvre. Elle est donnée en première audition le 29 novembre 1949. À peine un an plus tard, elle fait sensation au festival d’Aix-en-Provence. On parle d’elle comme d’un nouveau « Sacre », sans atteindre le scandale soulevé par le ballet de Stravinsky.
« Tarangalîla » est un mot sanskrit. Il signifie, précise Christian Wasselin dans l’excellent programme fourni par l’orchestre de Radio France, « tout à la fois chant d’amour, hymne à la joie, temps, mouvement, rythme, vie et mort ». La symphonie s’inspire du mythe de Tristan et Iseult. On sait combien Olivier Messiaen était sensible aux sons. Et combien la spiritualité imprègne sa musique.
L’œuvre se révèle un véritable tsunami musical, tant par sa vitalité et sa profusion sonore. Ses couleurs rythmiques sont d’une incroyable diversité. Blocs chinois, tambour de basque, maracas, tambourin provençal côtoient tam-tam et cloches-tubes. S’ajoutent de nombreux claviers, glockenspiel, célesta, vibraphone avec en première ligne un piano et les ondes Martenot.
Pionnières de la musique électronique, les ondes Martenot sont une des originalités de « Turangalîlla » par leurs sons singuliers, cosmiques, fondus parfois avec les autres instruments. Ils traversent l’œuvre, répond à un piano virtuose, quasi transformiste par la variété de ses interventions. Entre lui et les ondes Martenot, c’est un échange entre deux claviers de solistes qui se déploie sous les vagues successives de l’orchestre.
Cynthia Millar maîtrise avec assurance l’instrument électronique. Ancienne élève de Jeanne Loriod, la belle-sœur d’Olivier Messiaen, elle est aujourd’hui la référence des ondes Martenot. Depuis 1986, elle compte quelque 200 concerts de la « Turangalîla-Symphonie » à travers le monde. Au piano, Cédric Tiberghien fait merveille dans une interprétation qui fait appel à tout un éventail mélodique et percussif. Des doigts de fer dans un jeu de velours.
On reste impressionné par cette musique qui vous emporte et dégage un souffle vital puissant au fil de dix mouvements. Le chef roumain Cristian Macelaru a l’aisance tranquille d’un pacha à la barre d’un paquebot géant. L’écoute du public est exemplaire, pas une seule toux qui vole. Et à la suspension de la dernière note succède une explosion d’enthousiasme. Il fallait bien cela pour saluer ce monument déprogrammé la veille du calendrier des concerts de la Maison de la Radio. Pour cause de grève, l’Orchestre national de France avait dû battre… en retraite.
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Concert donné le vendredi 20 janvier 2023, au théâtre de Caen.
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