Dernier opéra de la saison 2022-2023 du théâtre de Caen, « Pelléas et Mélisande », l’œuvre mythique de Claude Debussy tirée de la pièce de Maurice Maeterlinck, a reçu un magnifique accueil, mercredi et vendredi derniers. Créée à l’Opéra de Lille, cette production était pleine de promesses : le concours de l’orchestre Les Siècles, conduit par Nicolas Simon, la mise en scène de Daniel Jeanneteau, des interprètes d’excellence enfin. Avec en tiercé gagnant, Alexandre Duhamel, formidable Golaud ; Vannina Santoni, délicate Mélisande ; Julien Behr, sensible Pelléas.
Des interventions des pupitres de cordes, sourd, dès le prologue, une ambiance crépusculaire. Le rideau de scène se lève sur un grand cube ouvert et sombre. Des volutes de brume laissent flotter une silhouette fantomatique, sorte de Dame blanche. D’entrée, dans ce décor épuré, au centre duquel bâille un grand trou circulaire, s’installe une dimension mystérieuse et onirique. Elle est propre à l’univers symboliste de Maeterlinck et de sa pièce de théâtre « Pelléas et Mélisande ».
Dix ans de composition
Debussy fut emballé, dès sa parution, par ce récit d’amour et de jalousie dans un monde atemporel. Il projeta aussitôt d’en faire un opéra. Avant lui, Gabriel Fauré écrivit pour l’œuvre une musique de scène. Le compositeur de « La Mer » s’attacha, lui, à un travail de longue haleine visant à appliquer ses idées sur l’art lyrique. Pendant plus de dix ans, Debussy se remit à l’ouvrage.
Sa création, en 1902, provoqua un tollé dans un public déconcerté par un rapport nouveau entre voix er orchestre et l’usage, par les interprètes, du « parlando », le chant parlé, proche de la conversation, sans airs, ni ensembles. De surcroît, une brouille entre le compositeur et l’écrivain belge avait entaché cette première. Maeterlinck espérait bien voir le rôle de Mélisande confié à son épouse. Debussy y était opposé.
Effet miroir
Ce conflit de personnes est de l’histoire ancienne. On retient cet opéra comme un chef d’œuvre à part, qui se heurte encore quelque 120 ans plus tard à une certaine réticence. Et pourtant, quelle puissance d’évocation tant musicale que poétique ! En cela, la mise en scène de Daniel Jeanneteau (remarqué il y a quatre ans avec l’opéra « Le Nain » de Zelemsky) s’y love. Ainsi, quand Mélisande quitte, telle une chrysalide, sa robe rouge, pour un ensemble pantalon-chemise, identique à celui de Pelléas. L’effet miroir des tenues signe l’inclination que s’avoueront les deux héros.
Par le seul jeu des lumières troubles, nébuleuses, ajoutant à l’atmosphère de rêve _ on pense à « To be sung », l’opéra de chambre de Pascal Dusapin _, elle laisse les mots construire l’imaginaire : la mer, la tour d’un château, les eaux dormantes d’un étang… Et jusqu’à la longue chevelure de Mélisande, dont s’exonère la coupe, volontairement courte, de Vannina Santoni, pour laisser place à sa seule évocation.
Mystère
La soprano tient son rôle avec assurance et finesse, effaçant le souvenir d’une Fiordiligi fragile dans le « Cosi fan tutte » par le Concert d’Astrée, il y a un peu plus d’un an sur cette même scène. Julien Behr est un ténor solide doué d’une sensibilité de jeu qui donne humanité touchante à Pelléas, l’amant de Mélisande et demi-frère du prince Golaud, le mari de la bell. Incarné par ce dernier, Alexandre Duhamel se révèle en baryton impressionnant, digne successeur d’un François Le Roux.
La scène, où il somme son fils Yniold _ excellent jeune Edgar Combrun (1) _ de dire ce qu’il a envie d’entendre sur sa femme et Pelléas, est d’une force glaçante. Elle présage de la fin tragique, marquée par un fratricide, un remord irréparable, enfin la mort silencieuse de l’aimée, dont l’âme représentée par son sosie enfant garde tout son mystère.
La cohésion de la distribution oblige à mentionner l’imposant Patrick Bolleire, le roi Arkel ; Marie-Ange Todorovitch, sa belle-fille ; Louis Morvan, le médecin. Et l’orchestre Les Siècles ! Dans son rôle narratif, il se confirme comme un des interprètes les plus avisés de la musique de Debussy. Il y a une vingtaine d’années, son futur fondateur, François-Xavier Roth, alors chef invité de l’Orchestre de Caen, inaugurait sa première direction dans la fosse du théâtre de Caen pour… « Pelléas et Mélisande ». Deux décennies plus tard, c’est à Nicolas Simon, chef principal de la formation caennaise, qu’il a confié la direction des Siècles. Comme un parrainage.
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« Pelléas et Mélisande », production Opéra de Lille, coproduction Les Siècles et théâtre de Caen, représentations données à Caen, mercredi 24 et vendredi 26 mai 2023.
(1) A la représentation du vendredi 26 mai. A celle du 24 mai, le rôle était tenu par Hélory l’Hernault-Roulière. L’un et l’autre, de la Maîtrise de Caen, ont été solistes dans « Celui qui dit oui, celui qui dit non », début mai, toujours au théâtre de Caen.
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