« Route 68 », terminus pour les Cambini !

Jouer l’intégrale des quatuors de Josef Haydn (1732-1809) sur neuf saisons, tel est le pari fou engagé, en 2017, par le Quatuor Cambini-Paris conduit par le violoniste Julien Chauvin. Pari tout autant audacieux, tenu par Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen. Il y avait quand même 68 œuvres au compteur, d’où le titre de « Route 68 » donné à cette aventure. La dernière étape s’est déroulée brillamment dans les foyers du théâtre caennais, combles comme très souvent. La page n’est pas complètement tournée. Un grand rendez-vous, « Osez Haydn ! » attend les spectateurs, le troisième week-end de mars.

Les plus avisés savent arriver tôt pour bénéficier des quelques fauteuils mis à disposition au premier étage des foyers. Vue plongeante et confort garantis ! Les quelque 250 sièges disposés autour de la scène offrent, eux, un rapport plus proche avec les musiciens, dont les noms sont devenus familiers, Julien Chauvin, Karine Crocquenoy, Pierre-Éric Nimylowyscz et Atsushi Sakaï. Il ne pourrait en être autrement au bout de ces années de compagnonnage avec le public.

Grand admirateur de Joseph Haydn, le père de la forme musicale du quatuor, Julien Chauvin caressait ce projet. Lancé sur 2016/2017, il devait s’étaler sur sept ans, à raison de trois concerts de trois œuvres chacun par saison. La pandémie du Covid a perturbé le calendrier de sorte que le rythme de la « Route 68 » a connu quelques ralentissements. Mais pas d’arrêt. Et lorsque Karine Crocquenoy, second violon, a dû déclarer forfait pour plusieurs dates en raison d’un accident à la main, on a pu trouver à la remplacer en la personne de Cécile Agator.

 

La philo invitée

Protégé du Prince Esterhazy, Joseph Haydn n’a pas voyagé, saut en Angleterre dans la deuxième période de sa vie. Mais, il était loin d’être un reclus. L’originalité de chaque session était d’aborder le contexte historique, social, économique, culturel dans lequel s’intègre l’œuvre du compositeur. Vingt-deux thèmes ont été traités, avec le concours du musicologue Clément Lebrun. Avec des artisans, restaurateurs d’art, universitaires, artistes. Il a été question de lutherie, de chocolat, d’astronomie, de dentelles, de jardins, de tissus, de mathématiques, d’horlogerie, etc.

La philosophie était au programme de ce dernier concert avec comme invitée Maud Pouradier, maîtresse de conférences en philosophie de l’art à l’Université de Caen-Normandie. De Platon à Schopenhauer, en passant par Descartes et surtout Kant, l’exact contemporain de Haydn, a été brossé un rapide panorama de la perception de la musique entre deux pôles : l’art d’agrément et son pouvoir de suggestion, d’une part et, d’autre part, l’aspect formel nourri par le jeu des sensations sonores.

Nul doute que Maud Pouradier avait beaucoup à dire, incitée en cela par les interventions bouffies de considérations personnelles d’un Clément Lebrun glissant vers un rôle de « fâcheux », au sens de Molière… C’est la seule réserve de cette soirée historique quand même, avant que la musique ne prenne le pas sur les discours. Pour ce concert ultime, les membres du Cambini-Paris s’étaient réservé les trois derniers quatuors écrits par Haydn, les Opus 77 n°1 et n°2 et l’Opus 103, inachevé. Les programmes précédents étaient établis pour partie par un tirage au sort dans le corpus de ces œuvres.

Boutade

L’humour et la complicité avaient été de mise dès l’entrée des musiciens, quand Atsushi Sakaï s’aperçut qu’il manquait sa partition sur son pupitre. A son retour sur scène, Julien Chauvin relativisa l’oubli, notant que la participation du violoncelliste tient en cinq pages, alors que celle du premier violon, la sienne, en demande quarante-trois ! Boutade, bien sûr, car la suite allait démontrer l’imbrication étonnante des interventions des quatre instrumentistes. Cette « Route 68 » aura été un long cheminement d’expérimentations exaltantes jusqu’au bout. On en espère un jour un témoignage durable. Il avait été question d’enregistrer un des trois quatuors de chaque concert. L’idée ne semble pas écartée.

Longuement applaudi, le Quatuor Cambini-Paris a offert en réponse un bis original. Les six dernières années de sa vie, Joseph Haydn n’était plus en capacité de composer. Néanmoins, il écrivait des pensées, prétextes à des canons. L’une d’elles s’appelle « Der Greis » (le vieillard), quelques lignes sereines d’une forte intensité : « Toute ma force s’en est allée !… La mort frappe à ma porte /Je lui ouvre sans effroi / Ciel, je te rends grâce ! / Un chant harmonieux fut le cours de ma vie. » La transcription musicale de cette petite polyphonie a signé bellement la « Route 68 ».

Une fin et une suite

Il y aura un « after » à cette Route, le jeudi 22 mai 2025. À travers un florilège d’œuvres, le Quatuor Cambini dressera la descendance musicale de Haydn. On y retrouve bien évidemment Wolfgang Amadeus Mozart – qui surnomme affectueusement son aîné « Papa Haydn » –, ainsi que des musiciens français inspirés par le style viennois, comme Hyacinthe Jadin, Félicien David et Charles Gounod. Quelque quinze années après la disparition de Haydn, Franz Schubert a signé avec son déchirant Quatuor « La Jeune fille et la Mort » un nouveau chef-d’œuvre du genre.

Mais avant, les 21, 22 et 23 mars, Julien Chauvin, reviendra au théâtre de Caen, à l’occasion des dix ans de son orchestre Le Concert de la Loge (1), avec son festival itinérant « Osez Haydn ! Cette manifestation mêle concerts, conférences, lectures, dégustations, expositions, ateliers, pour tous les sens, tous les goûts et tous les âges ! 

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Dernière étape de la « Route 68 », concert donné le jeudi 9 janvier 2025, au théâtre de Caen.

  1. A l’occasion de ces dix ans du Concert de la Loge, on peut écouter avec intérêt sur France Musique, le podcast de la série de cinq entretiens de Julien Chauvin au micro de Christophe Dilys.

 

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