Le festival de Pâques de Deauville se poursuit en « distanciel ». Le week-end dernier a offert un programme riche avec deux soirées, samedi et dimanche 24 et 25 avril, depuis la salle Elie-de-Brignac. Le premier a notamment mis la harpe et la voix à l’honneur dans des couleurs espagnoles avec des œuvres de Ravel, De Falla et Infante. Le second consacré à la musique russe a sorti de l’ombre le compositeur Mieczyslaw Weinberg et fêté Tchaïkovski. Et toujours des jeunes interprètes enthousiasmants, comme sait les révéler le festival depuis un quart de siècle.
2020 aura été une année sans la 24e édition du Festival de Pâques de Deauville, victime d’un virus, dont on ne connaissait pas grand-chose et pas encore ses cousins anglais, sud-africain et brésilien. Un an après, on a appris à s’adapter à la pandémie. La 25e édition du festival deauvillais en témoigne. Faute de pouvoir accueillir du public, c’est elle qui vient à la rencontre des spectateurs, via internet. Samedi 17 avril ouvrait la série de cinq concerts, qui s’étalent jusqu’au 8 mai.
La compagnie La vie brève se singularise par des spectacles originaux où mots et notes de musique s’enchevêtrent subtilement. Avec « Tarquin », elle fait pénétrer dans ces zones troubles où le mal s’accommode de l’esthétique artistique. Bourreau et mélomane ne forment pas nécessairement un oxymore. « Tarquin », en référence au despote, dernier roi de Rome, entraîne dans l’Amérique du Sud, où des Nazis ont trouvé refuge. Sans la nommer, la personnalité du sinistre criminel Josef Mengele plane sur ce spectacle, où le burlesque agit comme une soupape.
Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances entraînent avec « Psyché » dans le Londres de Charles II. Après les années austères du républicain Cromwell, l’Angleterre renoue avec la cour avec dans la ligne de mire du souverain en place le modèle de Louis XIV. C’est ainsi que le compositeur Matthew Locke se voit confier la mission de créer le premier opéra anglais. La « Psyché » Lully lui sert d’exemple. Sébastien Daucé s’en empare dans une version de concert, dont il a fallu combler des blancs. Avec ses musiciens et chanteurs, il a présenté au théâtre de Caen une reconstruction convaincante à souhait.
Brahms et Bruckner étaient au programme du concert des Dissonances, au théâtre de Caen. L’orchestre animé par le violoniste David Grimal a suscité le même enthousiasme qu’en avril 2018. Sous le titre de « Melancholia » étaient réunies deux œuvres majeures du répertoire romantique, le concerto pour violon de Johannes Brahms et la Symphonie n°9 d’Anton Bruckner. Avec des tempéraments différents, sinon opposés, de la part des deux compositeurs qui se suivaient en âge.
Avec « Libertà ! », Raphaël Pichon est allé aux sources de l’opéra mozartien. Les années 1780 de l’Autriche de l’éclairé Joseph II ont ouvert au compositeur un champ d’expériences musicales et scénographiques introduites par l’opera buffa italien. Avec son ensemble musical et vocal Pygmalion, Raphaël Pichon offre une leçon musique intelligente et stimulante. Les accompagnent une jeune équipe internationale de chanteuses et chanteurs pétri(e)s de talent, témoins de l’universalité du « divin » Mozart. C’était au théâtre de Caen.
L’oratorio d’Haendel (1685-1759) est l’œuvre la plus emblématique du compositeur saxon attaché à la couronne d’Angleterre. Son fameux « Hallelujah » est inscrit dans la tradition britannique, qui fait lever le public, suivant en cela le geste de George II à la création en 1742, à Dublin. La magnifique interprétation au théâtre de Caen du Collegium 1704, dirigé par Váklav Luks, aurait bien mérité une « standing ovation ». Au moins il n’y aura pas de méprise sur la signification d’une initiative royale qui n’est pas entrée dans les coutumes républicaines. Et reste le souvenir d’un moment inoubliable.
Le Quatuor Cambini-Paris a repris sa route 68, au théâtre de Caen. Il en est à sa dixième étape et sa quatrième saison à interpréter l’intégrale des quatuors de Joseph Haydn (1732-1809). On approche de la mi-parcours. A chaque concert, un thème, qui aide à mettre en perspective l’époque du compositeur. Cette fois, il est question de vêtements de scène. Créateur de nombreux costumes pour le spectacle, Alain Blanchot a expliqué son travail, fruit de nombreuses recherches. Une soirée cousue main.
Au moment du salut, à l’issue du concert (de gauche à droite) : Clément Lebrun,Karine Crocquenoy, Pierre-Eric Nimylowycz, Julien Chauvin, Alain Blanchot, Atsushi Sakaï.
Pour le premier rendez-vous de la saison 2019-2020, le théâtre de Caen a invité un enfant du pays. Enfant de la Maîtrise, que les familiers des auditions de la Gloriette avaient pu repérer, Cyrille Dubois a bien grandi pour devenir au passage de la trentaine un ténor fort recherché. Cet amoureux du chant et le pianiste Tristan Raës forment le duo Contraste au service du lied et de la mélodie. Leur programme Liszt confirme une belle maturité partagée.
La grande
salle du théâtre ne se prête guère à un salon de musique. Et pourtant, le ténor
Cyrille Dubois et le pianiste Tristan Raës parviennent à ce rapport d’intimité avec
le public dans ce récital hautement romantique. L‘exaltation de la nature et du
sentiment amoureux transpirent des œuvres des poètes allemands du XIXe siècle, mises
en musique par Franz Liszt. Les pièces choisies forment la première partie du
récital et donnent à Cyrille Dubois de déployer toute la palette de sa voix.
Ainsi du
rêve d’amour « Liebestraum O lieb ».
Son auteur, Ferdinand Freiligrath est surtout connu par les spécialistes. En revanche,
la mélodie de Liszt donne à son poème une notoriété bien inscrite dans les
mémoires. L’amour, contrarié par l’éloignement, que porte le compositeur
hongrois à Marie d’Agout, ne serait pas étranger à cette musique. Le timbre
chaud et clair de Cyrille Dubois lui donne progressivement une amplitude
saisissante.
Tous les
élèves germanistes ont, tôt ou tard, planché sur le célébrissime poème d’Heinrich
Heine, « Die Loreley », l’enchanteresse du Rhin, au chant de sirène
fatal au batelier. Liszt en a écrit deux versions musicales. La deuxième
retenue par le ténor offre un festival de nuances jusqu’à un final de notes hautes
de toute beauté. On est tout autant emporté par l’envolée puissante du « Bist
du » (« Ainsi es-tu ») du Prince Elim Metschersky ; et ému
par le sort du « Fisckerknabe » (le jeune pécheur) de Schiller, dont
le piano de Tristan Raës et la voix de Cyrille Dubois la douce naïveté et le
cruel destin.
Quatre
poèmes de Victor Hugo offrent l’occasion d’apprécier le modelé des mots par la
voix du ténor. « Oh quand je dors » est un bijou de sensualité qui
commence comme une berceuse, gagne en intensité dans un rêve de désir jusqu’à
une certitude sereine. « Enfant si j’étais roi » procède d’une
construction semblable.
On passe
ensuite à la langue italienne, avec Cesare Boccella, un contemporain de tous
les auteurs précités. Liszt donne à son poème « Angiolin dal biondo crin »
(Petit ange aux cheveux blonds) une musicalité azuréenne. L’interprétation du
ténor et du piano de Tristan Raës tient à la fois de la berceuse et de la
comptine.
Pétrarque
que cite Victor Hugo dans son poème « Quand je dors » se situe six
siècles avant les poètes de ce récital.
Ses sonnets n’en inspirent pas moins Liszt, certainement séduit par leur
expression de bouleversements amoureux, vis-à-vis notamment de la Laura,
dont parle Hugo. Dans les trois poèmes
qui terminent le récital, la part du piano donne un élan à la voix de Cyrille
Dubois. Sa tessiture se trouve étirée de façon impressionnante. On frise le bel
canto, en même temps que surgissent des intonations guillerettes, douces ou
affectueuses.
La chaleur
de l’accueil du public devant cette paire d’artistes à la complicité confondante
entraînent deux généreux bis. On réentend ainsi la mélodie du fameux « Liebestraum »,
mais cette fois avec un texte adapté en français. Et là encore sans impair,
aucun.
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Récital
donné au théâtre de Caen, le dimanche 13 octobre 2019.