Y’a pas de doutes, c’est bien du Devos ! François Morel régale le public du théâtre de Caen dans un hommage aussi filial que personnel au géant belge. Sa venue sur la scène caennaise est chargée d’une émotion particulière. Le comédien couronné récemment par un Molière y célébrait mardi la centième représentation de son spectacle. Et c’est dans cette même salle, que l’étudiant en arts du spectacle qu’il était à la fac de Caen, a découvert les Zouc, Guy Bedos et… Raymond Devos.
Raymond Devos avait l’art de pousser les mots jusqu’à l’absurde avec une évidence qu’il savait débusquer comme nul autre. Avec à la clé, un fou-rire garanti. L’artiste s’inscrivait dans une lignée, dans laquelle on peut associer tout à trac l’équipe des Branquignols, Pierre Dac et Francis Blanche, Poiret et Serrault, mais aussi un autre Raymond, le Queneau des « Exercices de style ».
Toute une crème comique, qui savait monter les mots en neige, les faire mousser à partir d’un rien, même trois fois rien. Ainsi d’une expression courante dès lors à bon compte fructifiée. Devos a régné en maître sur cette planète. Il était bien normal que Dieu lui-même le convoquât, via Saint Pierre, pour se désennuyer.
Ce qu’il n’avait pas prévu le Créateur c’est que notre Devos, guère dévot, ne pouvait dès lors plus douter de l’existence du Très Haut. Lequel, magnanime, renvoie sur terre le clown belge. François Morel introduit ainsi son spectacle. En Commandeur orageux, il raconte sa divine rencontre avec Raymond Devos, lui-même. De quoi, en un sens, rester interdit.
Costume sombre et nœud papillon noir, chaussettes rouges, comme son alter ego Antoine Sahler, pianiste à la voix haute et traînante, François Morel investit l’univers de son maître. Il n’en emprunte pas la voix, mais suit la voie (vous voyez ?) de ses textes à l’infernale logique. Ah l’exercice des « Sens dessus dessous » à vous donner le tournis !
Le comédien ressuscite les sketches fameux du fabuleux jongleur de mots _ « Mon chien c’est quelqu’un », « Caen » évidemment ( !), « Je zappe » jusqu’au magnifiquement cruel « J’ai des doutes », qui donne son titre au spectacle. Et au passage, la « Musique caressante » qui en a fait un Devos acteur dans le « Pierrot le fou » de Godard.
D’enchaînement en enchaînement, avec la complicité pianistique _ mais pas que _ d’Antoine Sahler, François Morel s’approprie le monde de Devos. Le Deschiens apparaît en surface pour des moments désopilants avec « Le clou » et surtout le numéro musico-éthylique de « La truite », aux lointains échos de « L’eau ferrugineuse » de Bourvil ou de « La pub du gin » d’Henri Salvador.
Tel un fantôme bienveillant, Devos, représenté par une marionnette, se fait entendre. Ce sont des extraits de la mythique émission de Jacques Chancel, « Radioscopie ». Des mots simples et touchants sur le rire et sa nécessité. Introduits puis relayés par la chanson « Je hais les haies… qui nous emmurent et les murs qui sont en nous ».
Là encore, Devos troussait des poèmes fulgurants. Des sortes de haïkus drolatiques. On n’en attendait pas moins de cet homme à la silhouette de sumo et au maquillage de scène très japonisant. C’est tout cela que reconstitue François Morel avec son style parsemé de trouvailles sensibles, telles ces quelques notes d’ouverture sur l’air du « Clown » de Gianni Esposito.
Et d’un clown à l’autre, on participe de cette folie jubilatoire. Sor…tilège de l’humour.
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« J’ai des doutes », représentations au théâtre de Caen, du mardi 11 au dimanche 16 juin. A guichet fermé. Mais il est rare que quelques places ne se libèrent pas. Rens. 02 31 30 48 00.